Narok, Kenya
Lundi 22 dรฉcembre 2025
Elles savent que lโexcision des jeunes filles, consistant ร enlever le clitoris et les petites lรจvres – et prรฉsentรฉe comme un rite de passage -, reste une pratique profondรฉment ancrรฉe dans certains villages reculรฉs du comtรฉ de Narok, pourtant ร quelques heures ร peine de la capitale Nairobi.
Dans ces zones sous-dรฉveloppรฉes, trรจs loin de toute route bitumรฉe, environ 80% des filles sont encore concernรฉes, se dรฉsole une infirmiรจre. Une loi a pourtant rendu illรฉgale les mutilations gรฉnitales en 2011.
“Pourquoi dites-vous aux gens que vous avez arrรชtรฉ, alors que nous avons des adolescentes qui arrivent ร l’hรดpital aprรจs avoir รฉtรฉ excisรฉes ?”, crie une femme dans une foule rassemblรฉe au village d’Entasekera pour discuter de la question.
Les femmes acquiescent vigoureusement, face ร des hommes impassibles.



“Nous nโexcisons plus les filles car la culture a changรฉ”, assure ย Moses Letuati, 50 ans, avant d’admettre que l’une de ses quatre filles a รฉtรฉ excisรฉe.
Plusieurs communautรฉs pratiquent encore les mutilations gรฉnitales fรฉminines (MGF) au Kenya, malgrรฉ des pressions continues pour qu’elles cessent, d’abord des colonisateurs britanniques, puis d’ONG kรฉnyanes et internationales.
Outre certains Massaรฏ, pour qui les filles doivent รชtre mutilรฉes afin de pouvoir รชtre mariรฉes, la diaspora somalienne vivant dans le nord-est du pays connaรฎt encore des taux d’excision supรฉrieurs ร 90%.
Alors que la proportion d’adolescentes excisรฉes a chutรฉ de 29% ร 9% au Kenya entre 1998 et 2022, selon une enquรชte gouvernementale, la pratique subsiste mรชme en milieu urbain, via des MGF dรฉsormais mรฉdicalisรฉes.
– Cris et malรฉdictions –

“Je criais et je me dรฉbattais”, raconte Martha, 18 ans, qui avait 10 ans lorsque deux femmes l’ont excisรฉe chez elle, dans l’est du comtรฉ de Narok.
Il lui a fallu un mois pour guรฉrir, dit-elle. Sa mรจre et sa sลur lui ont expliquรฉ que cโรฉtait la dรฉcision de son pรจre.
Forcรฉe ensuite ร รฉpouser un homme de 25 ans, elle sโest enfuie dans un refuge dirigรฉ par Patrick Ngigi, fondateur de lโorganisation Mission with a Vision, qui a secouru quelque 3.000 victimes de MGF depuis 1997.
Le refuge, soutenu par le Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap), est sรฉcurisรฉ par des camรฉras et ses pensionnaires ont accรจs ร des boรฎtiers d’alerte pour les protรฉger de leurs propres communautรฉs.
Patrick Ngigi concรจde avoir “beaucoup d’ennemis” : il a รฉtรฉ visรฉ par des sorts, comme l’ont รฉtรฉ des filles ayant refusรฉ d’รชtre excisรฉes. Mais pour lui, la solution passe par le dialogue et l’arrรชt de la corruption.
“Quand un policier arrive et surprend (quelqu’un pratiquant ces mutilations), il suffit de lui donner quelque chose pour pouvoir continuer”, dรฉplore-t-il.
Une accusation rejetรฉe par Raphael Maroa, un policier local, qui reconnaรฎt toutefois que la lutte contre l’excision est ardue, beaucoup de filles รฉtant dรฉsormais emmenรฉes discrรจtement en Tanzanie voisine pour y รชtre mutilรฉes.
Il pointe le manque dโรฉducation de la communautรฉ โ environ la moitiรฉ des habitants de Narok est analphabรจte, selon des chiffres de 2022 โ avant d’admettre lui-mรชme que ses deux filles ont รฉtรฉ excisรฉes afin dโรฉviter “un conflit avec (ses) parents”.
– Pratique “monstrueuse” –
Les Massaรฏ comptent toujours parmi les communautรฉs kรฉnyanes les plus pauvres. Des dรฉcennies durant, ils ont perdu leurs terres, accaparรฉes par les colons puis le tourisme, et certains restent mรฉfiants ร l’รฉgard des รฉtrangers qui tentent de changer leur mode de vie.
Si les taux d’excision ont officiellement baissรฉ dans le comtรฉ de Narok, de nombreux cas ne sont pas recensรฉs, estime Rhoda Orido, infirmiรจre-cheffe ร l’hรดpital du comtรฉ.
Lโinfirmiรจre Loise Nashipa, 32 ans, du centre de santรฉ dโEntasekera, dรฉcrit les MGF comme “monstrueuses” : “Il y a des saignements, de la douleur et des infections”, dรฉnonce-t-elle, la plupart des mutilations รฉtant encore, selon elle, pratiquรฉes par des femmes รขgรฉes utilisant des lames non dรฉsinfectรฉes.

Au refuge, les filles fรชtent la remise de diplรดme de psychologie de Cecilia Nairuko, 24 ans, une rรฉsidente qui a fui l’excision et un mariage forcรฉ ร 15 ans.
Son parcours ravit Patrick Ngigi, qui souligne toutefois que son travail nโest jamais terminรฉ. Lors du rassemblement au village, des femmes lโont dit-il discrรจtement abordรฉ pour le supplier de prendre six filles quโelles estimaient menacรฉes.



Cecilia Nairuko rayonne en dansant dans sa toge de diplรดmรฉe.ย Mais ร lโinstar de nombreuses autres rรฉsidentes, son visage s’assombrit lorsqu’elle parle de sa famille: son pรจre et trois de ses quatre frรจres ne lui ont jamais pardonnรฉ de ne pas avoir รฉtรฉ excisรฉe.
Humaniterre avec l’AFP





