En Côte d’Ivoire, une personne ayant survécu à des violences sexuelles, doit non seulement faire face aux traumatismes et aux conséquences de l’acte subi, mais doit aussi trouver le courage d’affronter des conséquences sociales déstabilisantes pour elle. Elle peut, en effet, être rejetée ou stigmatisée par sa propre famille, par sa communauté, ou encore être abandonnée par son mari. De plus, la responsabilité du déshonneur associée au viol est plus souvent imputée à la victime qu’au violeur. Une grossesse non désirée issue d’un viol est fréquemment considérée comme un acte qui « souille » la descendance. C’est pourquoi l’avortement est souvent la solution requise. Mais, dans tous les cas, les interventions se déroulent dans des conditions à haut risque pour la santé de la mère et du futur enfant, qui peut être abandonné ou tué à la naissance. Enfin, la honte et la peur des conséquences amènent les survivantes à choisir de ne pas dévoiler leur secret et donc, à ne pas rechercher l’aide spécialisée dont elles auraient besoin.
Le terme « violence basée sur le genre » (VBG) identifie tout acte préjudiciable perpétré contre la volonté d’une personne, en raison de son appartenance de genre. Le « genre » est un concept socialement construit, qui définit les différences non biologiques entre hommes et femmes. La violence basée sur le genre est une grave violation des droits humains protégés par la Constitution ivoirienne comme par les conventions et les instruments normatifs internationaux. Il s’agit, par conséquent, d’actes illégaux et criminels reconnus par la législation nationale ivoirienne. Partout dans le monde, la VBG touche de façon beaucoup plus significative les femmes, les filles et les enfants, même si le phénomène peut aussi être perpétré à l’encontre des hommes ou des garçons.
La nature et l’ampleur de la VBG varient selon les pays. En Côte d’Ivoire, elle se manifeste sous plusieurs formes dont les plus courantes sont le viol, l’exploitation sexuelle, les abus et les agressions sexuelles, la violence domestique, la violence physique, le déni des droits, la violence psychologique, la traite, la prostitution forcée, le harcèlement et la discrimination sexuelle. Elle peut même prendre des formes spécifiques à certaines pratiques culturelles ou traditionnelles néfastes, telles que les mutilations génitales féminines, le déni du droit à la femme d’hériter de la terre, le lévirat et le sororat (pratique coutumière dans laquelle une veuve ou un veuf se voit imposer le remariage avec le frère ou la sœur de son défunt mari ou épouse afin de perpétuer la lignée), le mariage forcé ou précoce.
Cependant, le viol reste considéré comme la forme la plus grave de violence basée sur le genre.
Un viol peut avoir de graves conséquences physiques comme la stérilité, l’incontinence et les infections sexuellement transmissibles, et génère donc un impact négatif sur la santé publique. La relation entre ce type de violence et le VIH/sida est évidente. Un viol commis est un rapport sexuel sans consentement et pratiquement toujours non protégé, avec un partenaire non habituel. Ce rapport comporte donc un très haut risque de contamination de VIH/sida.
Par ailleurs, les victimes endurent en plus des souffrances psychologiques. En effet, il est fréquent qu’elles ressentent de la honte, qu’elles se sentent humiliées ou coupables, et qu’elles sombrent dans une grave dépression qui peut, parfois, les conduire jusqu’au suicide !
Au sein de la société, la stigmatisation et le rejet des survivantes, l’effondrement des normes sociétales et culturelles et l’instabilité économique sont autant de conséquences de la VBG qui se manifestent un peu partout en Côte d’Ivoire.
L’ampleur du problème a pendant longtemps été sous-estimée. Les femmes taisent les actes dont elles ont été victimes ; premièrement par peur des conséquences sociales, ensuite par manque d’information sur les conséquences médicales et psychologiques ainsi que sur le service de prise en charge disponible, et enfin, surtout à cause de la honte. Le silence règne, souverain.
Pendant la période de conflit, les femmes et les filles sont particulièrement vulnérables face à la violence basée sur le genre de façon générale, et spécifiquement à toutes les formes de violences sexuelles.
Dans le conflit ivoirien, la VBG a particulièrement touché l’Ouest et le district d’Abidjan, là où la crise postélectorale a été la plus violente, causant entre autres des déplacements massifs de population. À l’ouverture des lignes de front, on a noté une recrudescence des cas de violences sexuelles commises envers les femmes et les filles la plupart du temps par des hommes en armes.
Les conséquences de l’utilisation de la violence sexuelle, en tant qu’arme de guerre, vont bien au-delà des terribles blessures et de l’énorme traumatisme que subissent les victimes directes. Vécus comme une humiliation par les familles et la population, ces actes risquent de déstabiliser en profondeur des sociétés entières longtemps après la fin des conflits.
Pour toutes ces raisons, il reste difficile d’établir précisément la prévalence de la violence sexuelle. Cependant, il est possible d’en avoir un aperçu grâce aux structures de prise en charge de survivantes de violences sexuelle.
Entre le 1 janvier et la fin du mois de mai 2011, 658 cas de VBG dont 325 cas de viol ont eu accès aux services spécialisés de prises en charge médicale et psychosociale offertes par les membres du Sous Cluster VBG, un forum de coordination humanitaire activé depuis février 2011, qui voit représenté en son sein des spécialistes du secteur (des représentants du gouvernement, des organisations non-gouvernementales nationales et internationales, et des agences onusiennes), dont la coordination est assurée par le Fonds de Nations Unies pour la Population (UNFPA).
Toutes les initiatives de lutte aux VBG existant en Côte d’Ivoire traitent le problème d’un point de vue holistique ; d’une part en garantissant une prise en charge (médicale, psychosociale, légale et économique) de chaque survivante de violences sexuelles, d’autre part en travaillant à la prévention de la VBG.
La porte d’entrée vers les services disponibles pour une survivante de violence sexuelle peut donc varier. Toutefois, la pratique montre qu’elle se trouve principalement dans les services gynécologiques et les centres sociaux.
Les spécialistes du secteur travaillent sur la base des quatre grands principes directeurs : la confidentialité, le respect des droits de la survivante, la non discrimination, la sécurité.
A ce jour, briser le silence des femmes et des filles ayant survécu à une agression sexuelle reste le premier défi, en Côte d’Ivoire, de la lutte contre les violences basées sur le genre.