Le Père Cyprien Ahouré de la mission catholique :
« La réconciliation est possible à Duékoué »
Le Père Cyprien Ahouré, responsable de la mission catholique de Duékoué, dans un entretien, exprime son optimisme quant à la réconciliation dans cette localité. Une ville qui connaît une fracture sociale sans précédent.
Dites-nous, qui est le Père Cyprien ?
Je suis un Salésien de Don Bosco. Nous sommes une congrégation religieuse représentée dans le monde entier. Nous sommes présent à Duékoué depuis plus de trente ans. Cela fait sept ou huit mois que je suis là. Les choses vont si vite : j’ai travaillé durant quatre ans au Cameroun. Puis, pendant quatre autres au Burkina-Faso. La Côte d’Ivoire est mon premier poste d’affectation. J’y suis arrivé au moment où elle est en crise. J’espère que le conflit a pris fin avec la prise effective du pouvoir par monsieur Ouattara.
On vous connaît guide religieux, mais vous vous impliquez dans l’humanitaire. Comment expliquez-vous une telle mutation ?
Il faut dire que dans notre formation, nous sommes plus ou moins préparés à tout cela. Les Salésiens de Don Bosco ont une reconnaissance mondiale en matière d’accueil, d’accompagnement et autres. Au Soudan, nous avons fait nos preuves. De même qu’en RDC (République démocratique du Congo, NDLR). Chaque fois que des crises surviennent, les populations trouvent refuge dans les missions catholiques. C’est la première fois que je m’implique dans l’humanitaire. J’apprends aux côtés d’autres humanitaires.
Dans quel état aviez-vous accueilli ces populations, dont la plupart sont ici depuis décembre ?
Ce sont des gens désespérés venus de différentes localités, suite à la crise postélectorale. Ils sont Guérés, pour la majorité d’entre eux. Mais toute la population de Duékoué a souffert de cette crise. Elle veut la paix, la stabilité,… Le conflit a détérioré les relations sociales (intercommunautaires et interethniques, NDLR). Les personnes déplacées dans cette mission catholique souhaitent vivre avec leurs frères restés en dehors. Ceux-ci les attendent à bras ouverts. Nous avons fait assez pour emmener les populations à se parler entre elles pour se faire confiance mutuellement ; pour qu’elles comprennent qu’il est possible pour chacune de vivre avec l’autre, même si à un moment donné, l’une ou l’autre s’est sentie brimée.
Plusieurs campagnes de sensibilisation ont été menées auprès de ces déplacés pour les rassurer de retourner chez eux. Qu’est-ce qui les retient ?
Ils évoquent le problème de l’insécurité. Mais en réalité, ils craignent la faim. Puisqu’ils ne sont pas allés dans leurs champs à cause de la crise, c’est sûr qu’ils n’ont pas semé. Pas plus qu’ils ne récolteront. Qui ne sème pas ne récolte pas ! Avec l’assistance qui leur est apportée à la mission catholique, il leur est difficile de partir. Nous leur disons qu’ils seront aidés et nous le ferons. En outre, certains n’ont plus de maison. Des villages ont été décimés ; des quartiers ont été détruits. Il faut reconstruire tout cela. Les politiques doivent aussi penser à aider leurs parents. Les FRCI (Forces républicaines de Côte d’Ivoire, NDLR) avec les forces impartiales (les forces françaises de Licorne et celles de l’Onuci, NDLR) sont en train de sécuriser la région. Nous sommes confiants : dans quelques jours, tout rentrera dans l’ordre.
Au vu de ce qui se fait, est-ce que les déplacés ont l’intention de retourner chez eux ?
Certains sont repartis chez eux. Nous avons des informations selon lesquelles des villages commenceraient à être peuplés. Quand l’action humanitaire se fait sur place, les gens bougent. Il est vrai que ceux qui sont partis ne sont pas très nombreux, mais nous espérons que beaucoup suivront leur exemple. Il suffit simplement de les rassurer.
A combien peut-on estimer les populations encore ici, à la mission catholique ?
Nous avions dénombré 27 703 personnes. Aujourd’hui, elles sont environ 15 000. Nous espérons que le nombre va diminuer, en raison du travail abattu auprès des populations pour les inciter à retourner chez elles. Des actions sont en cours pour que celles qui ont tout perdu reprennent goût à la vie, et qu’elles aillent redonner vie à leur village.
Il y a de l’espoir, lorsqu’on vous écoute.
Je pense que la réconciliation est possible ; il y a de l’espoir. Malgré tout ce qui s’est passé, les Ivoiriens demeurent un peuple pacifique. Tous aspirent à la paix. La mission du gouvernement, c’est de réconcilier tous les fils et filles de ce pays. Arrêter les exactions, les représailles ; éviter la chasse aux sorcières. Il faut que le vainqueur tende la main au vaincu. Il faut permettre à cette population de revivre ensemble : c’est possible ! Moi-même je suis issu d’un métissage. Mon père et ma mère ne sont pas de la même région : un avantage pour nous. Nous devons travailler pour une Côte d’Ivoire ouverte au monde. Nous croyons aussi qu’il est possible de trouver des solutions aux problèmes de ses populations. La question du foncier rural, la réinsertion des jeunes : la résolution de ces problèmes va participer à la réconciliation et à la cohésion sociale. Nous disons aussi aux humanitaires, d’aider le pays à retrouver son lustre d’antan, c’est-à-dire le lieu où les populations du monde peuvent se retrouver pour fumer le calumet de la paix, pour un vivre-ensemble harmonieux. Cette paix est possible ; Dieu nous aidera.
Propos recueillis à Duékoué par Ousseyni Kindo
Crédits photos : Basile Zoma