Les forets classées et parcs nationales en péril
Une promenade dans des forêts classées nous a permis de découvrir une triste réalité. Avec la guerre de 2002 et le départ des services des eaux et forêts et de la SODEFOR (sociétés de gestion forestière), le patrimoine forestier de l’ouest montagneux de la Côte d’Ivoire est ravagé. Plus d’une vingtaine de forêts classées estimée à plus de 250 milles hectares sont dévastées par les populations. Et susceptibles d’être rayer de la carte nationale.
Des individus les ont investies pour y créer des plantations. Dans un premier temps, selon les témoignages recueillis sur place, ce sont les exploitants forestiers, des particuliers et même des industriels qui y sont pénétrés pour exploiter les grumes. Ensuite les paysans s’y sont investis pour réaliser de vastes plantations. D’autres en ont fait leur propriété qu’elles vendent à des allogènes et des allochtones à vil prix. Ceux-ci y créent des plantations de cacao, de café ou d’hévéa.
Les parcelles de forêt se vendent à moindre coût
A titre d’exemple, la forêt classée du mont Dent (136 ha) n’existe que de nom. Envahie qu’elle est par des producteurs de maïs, de manioc ou du riz. Idem pour la forêt classée du mont Glas (3100 ha). Là-bas, même le sommet de la chaine de montagne n’a pas été épargné. La parcelle est occupée par des champs de riz. Les teks et les acacias de la SODEFOR sont tout simplement détruits. Les forêts classées du mont Tia (24 900 ha) où était protégé l’Aniégré (une espèce de bois noble), Flansobly (15450 ha), Yalo (26800 ha), pour ne citer que celle là, sont réduites en plantation. La forêt classée de Sangouiné (24610 ha) est prise en otage par des individus qui en ont fait leurs propriété privé et revendent des parcelles à des allogènes. C’est aussi le cas pour la forêt classée du mont Peko qui est aux mains d’une bande puissamment armée qui y règne en maitre absolu, à en croire les agents des eaux et forêts exerçant dans la région.
Des villageois que nous avons approchés, ont indiqué sous le sceau de l’anonymat que des éléments des forces nouvelles seraient impliqués dans cette vente de forêt avec la complicité de certains chefs de communauté. A Sangouiné, la parcelle se vendait à 70 milles FCFA l’hectare ; l’ex sous préfet de cette localité, Okyé Koffi Roche qui a fait de la lutte contre l’occupation clandestine des forets classées son cheval de bataille, a demandé au commandant de secteur de Sangouiné le sergent chef Kassero de recenser tout les clandestins qui occupent ces forêts. « Généralement, ce sont des Lobi, des Mossi, Des malinké, et quelques Yacouba qui y sont. Ils ont occupé ces parcelles avec la permission de certains autochtones qui en ont fait leur propriété ». Précise le représentant de l’exécutif. Celui-ci a même convoqué les chefs de village et de communauté vivant dans sa circonscription pour leur dire que personne n’a le droit de d’occuper les forêts classées qui appartiennent à l’état. Il n’a pas manqué de faire une mise en garde. « Dès que les agents des eaux et forêt seront redéployés, tous ces paysans clandestins seront chassés ».
A Zonlé II, Dans la sous préfecture de Sangouiné, une portion de la forêt classée du mont Glôh (10250 ha) a été attribuée à la coopérative du village. Ce GVC (groupement à vocation coopérative) qui a obtenu 300 ha (autorisation N° 1185-81/MIN/OR/DDCF signé par le ministre des eaux et forêt de l’époque, Christian Zagoté) n’a pu mettre en valeur sa portion. L’autorisation qui ne fait pas office de titre foncier indique que qui la parcelle n’est mise en valeur agricole dans un délai de cinq ans, l’état se réserve le droit de le récupérer. Même mise en valeur elle doit être gérée comme une forêt classée. Mais malheureusement, des membres du GVC ont vendu des lopins de terre de cette parcelle à des allogènes. Ce qui est aujourd’hui source de conflit. Ils sont même allés au-delà de l’espace qui leur a été accordé.
Le parc national du mont Sangbé dans le département de Biankouma n’a pas échappé à la furie des exploitants forestiers, des braconniers et des paysans qui y opèrent en toute tranquillité. Les animaux qui y étaient protégés ont tout simplement disparu du fait des attaques régulières des braconniers et autres chasseurs traditionnels.
Une autre situation triste qui est à déplorer est le fait des tueries entre occupants clandestins de ces forêts.
Les forêts classées sont des sources de conflits meurtriers
Le capitaine Adonis Konin, responsable socio économique et de la communication au centre de la société de gestion forestière (SODEFOR) de Man, délocalisé à Duékoué du fait de la crise, nous a révélé des chiffres alarmants dans la forêt classée de la rivière Sio. Selon lui des ex combattants, se sont réfugiés dans cette forêt qu’ils ont occupée de façon clandestine et anarchique. Ces individus qui ont gardé leurs armes par devers eux s’entretuent. L’officier des eaux et forêts a indiqué que le 06 aout 2009, un corps non identifié a été découvert. L’homme a été tué par balle. Des riverains ayant requis l’anonymat ont signalé que le corps a été retrouvé après des tires nourrit entre occupants clandestins. Ces affrontements entre groupes rivaux ont fait 13 morts le 07 février 2006, 03 morts le 27 mars de la même année, 02 morts et 05 blessés le 21 avril 2007. En février 2010 des affrontements entre autochtones Dan et occupants clandestins ont fait 12 blessés. Il a fallu une mission urgente de l’ambassadeur du Burkina Faso en Côte d’Ivoire son excellence Emile Ilboudo à Danané pour éteindre le feu.
Le 16 mars 2008, une opération sécrète de la SODEFOR a permis de mettre la main sur le scieur Ousmane Sanoudé de nationalité Burkinabé qui a été surpris, défrichant une parcelle dans la forêt classée du Sio avec une arme de type calibre 12 canon scié sur lui. L’homme a été déféré au tribunal de Daloa. Dans le premier trimestre de l’année 2010, environ 11 personnes ont péris dans les affrontements entre clandestins dans la forêt classée du mont Peko. 08 personnes ont été brulées vives.
Dans le département de Man, seule la forêt classée du mont Tonkpi (6150 ha) a échappé à l’exploitation sauvage du fait de son relief très accidenté. Mais malheureusement, elle est actuellement en proie aux exploitations clandestines. Des scieurs y abattent des arbres pour fabriquer des planches. Et ce en toute impunité.
Les espèces en danger
Le patrimoine forestier ivoirien à l’ouest est riche de plusieurs centaines d’espèces. Aujourd’hui, les espèces nobles telles que l’Aniègré, l’Amazakoué, l’Akatio, le Bété et le Niangon utilisés dans l’industrie automobile, navale et aéroportuaire sont menacés de disparition. Elles sont devenues très rares. C’est aussi le cas des espèces comme le Makoré, le Tiama, l’Iroko, l’Aboudikro, le Bahia, le Sipo, le Cos sipo etc., utilisés dans l’ébénisterie et le bâtiment. L’Acajou à la fois utilisé dans l’ébénisterie et la fabrication des fusils est aussi menacée de disparaitre bientôt. Des essences comme le Lotofa, le Difou, le Lingué, le Movingui et le Yatanza sont aussi en voix de disparition. Aujourd’hui, les exploitants forestiers s’acharnent beaucoup plus sur le Samba, le Fraqué, Le Dabema, le Bahia, et l’Iroko (Même de petits Diamètre). Une vraie catastrophe nationale.
Réaction des autorités.
Le directeur régional des eaux et forêts, le lieutenant-colonel Kouamé Bi, souligne que sa direction est délocalisée à Duékoué et n’a pas d’emprise sur ce qui se passe en zone centre nord ouest (CNO). Néanmoins, il entend œuvrer dans le sens de la restauration du patrimoine forestier une fois de retour à Man. Il compte donc sur la fin probable de la crise poste électorale afin que le redéploiement des agents des eaux et forêts soit effective le plus tôt possible. De son côté, le capitaine Adonis Konin estime que s’il y a une réelle volonté politique, l’on peu reconstituer et sauver le couvert végétal sous protection de l’état. Selon lui, une décision gouvernementale a permit en 1988 de faire sortir tous les planteurs qui ont occupé clandestinement les forêts classées. La même opération a été menée en 1997 par la SODEFOR. Mais malheureusement, des planteurs se sont organisés pour rencontrer le chef de l’état d’alors, qui a autorisé leur réintégration sous réserve de ne pas étendre les parcelles déjà cultivées. « Seul le soutien des autorités au sommet de l’état pourra permettre de sauver le patrimoine forestier qui appartient à tout le monde. Les services de la SODEFOR ET des eaux et forêt à eux seul ne pas réussir cette mission» s’inquiète le capitaine Konin Adonis. Quand au préfet de région, préfet du département de Man, il souhaite l’implication, des chefs coutumiers, des cadres et élus de la région dans la sensibilisation des populations sur l’occupation illégale et clandestine des forêts classées.
De leur côté, les forces nouvelles ont initié en 2004 un programme de reboisement dans la zone de Sangouiné. La mise en œuvre de ce programme a été confiée à la société des travaux de reboisement compensatoire (STRC). Ce programme s’est heurté à des difficultés financières. Depuis 2007 il connait une interruption. Aujourd’hui, l’on peut affirmer sans risque de se tromper que le patrimoine forestier de l’ouest de la Côte d’Ivoire est sinistré. Et seul un programme spécial de reconstitution du couvert végétal peut rétablir la flore dans cette région qui commence à ressentir les effets du changement climatique.
K.O. à Man