Mborine,ย Sรฉnรฉgal
Lundi 08 dรฉcembre 2025
Par Becca MILFELD
PHOTOS PAR NICOLAS REMENE
A l’ombre d’unย grand manguier dans une cour ensablรฉe de son village du nord-ouest du Sรฉnรฉgal, Khady Sรจne tresse en cadence des roseaux, premiers gestes de la confection d’un panier colorรฉ.
Si cet artisanat typique de ce pays d’Afrique de l’Ouest se vend dans le monde entier, ร des prix parfois รฉlevรฉs, les femmes qui produisent ces paniers estiment ne pas en tirer les bรฉnรฉfices ร la hauteur de leur succรจs.
Comme de nombreux aprรจs-midi dans la semaine, Khady Sรจne et une dizaine d’autres femmes se retrouvent pour tresser, une technique transmise de mรจre en fille depuis des gรฉnรฉrations.
Les femmes du village de Mborine ont rarement l’occasion de quitter cette rรฉgion reculรฉe du Sรฉnรฉgal, mais leurs crรฉations se retrouvent, elles, dans les boutiques de dรฉcoration aux Etats-Unis ou en France.
Pour un authentique panier “Made in Sรฉnรฉgal”, les prix peuvent atteindre des centaines d’euros, sur lesquels les artisanes sรฉnรฉgalaises touchent une part infime.
“Je fais ce travail depuis que je suis nรฉe”, confie Khady Sรจne dans sa cour d’oรน l’on entend bรชler les animaux derriรจre les murs de parpaing.
Ces paniers originaires de villages wolofs du nord-ouest du pays sont tressรฉs avec des roseaux liรฉs par des fils de plastique colorรฉs, autrefois des fibres de palmiers.
Paniers ร linge, boรฎtes de rangement ou plateaux de prรฉsentation: les femmes produisent une variรฉtรฉ d’objets tressรฉs qui se vendent sur les bords de routes sรฉnรฉgalaises et dans les marchรฉs artisanaux.
“Ceux qui les achรจtent au marchรฉ nous les prennent ร un prix dรฉrisoire qui ne nous permet mรชme pas de couvrir nos coรปts”, proteste cette mรจre de 35 ans.
Si un panier ร linge se nรฉgocie autour de 13.000 francs CFA (20 euros) au marchรฉ, ceux exportรฉs ร l’รฉtranger – par des intermรฉdiaires – peuvent se vendre au-delร de 150 euros.
Khady Sรจne souhaiterait plus d’aide des autoritรฉs pour dรฉfendre cet artisanat ร l’identitรฉ nationale forte et aider les femmes ร “vivre de ce travail”.
D’autant que, ร bien regarder l’รฉtiquette de certains produits similaires dans les magasins occidentaux, ils ont de grandes chances d’avoir รฉtรฉ fabriquรฉs au Vietnam, grand producteur de copies.



– Marchรฉ mondial –
Lors d’un voyage au Vietnam en 2017, Fatima Jobe, une architecte sรฉnรฉgalo-gambienne dรฉcouvre avec stupeur un grossiste se prรฉsentant comme le plus grand exportateur mondial de vannerie de style sรฉnรฉgalais… bien que fabriquรฉe en Asie.
Ayant dรฉjร des liens avec des tresseuses de paniers, elle dรฉcide alors d’agir pour les dรฉfendre. “Il y a toutes ces merveilleuses vanniรจres qui sont prรชtes ร travailler”, souligne Fatima Jobe .
Quelques annรฉes plus tard, elle est dรฉsormais propriรฉtaire d’Imadi, une boutique de paniers connue ร Dakar, qui travaille avec 260 femmes, dont Khady Sรจne, dans 15 villages.
La plupart des modรจles sont ses crรฉations, souvent de couleurs sobres et ornรฉs de cuir, qu’elle parvient ร exporter ร l’รฉtranger. Certains se veulent traditionnels, comme les paniers ร vanner appelรฉs “layu”, d’autres sont des innovations.
Fatima Jobe ne gagne pas sa vie avec Imadi et a un autre emploi. Mais elle espรจre un jour faire de ce commerce son gagne-pain.
Elle a mis en place une grille salariale plus รฉlevรฉe, interdit le travail des enfants et a pu financer les รฉcoles des villages. Elle livre elle-mรชme les matiรจres premiรจres directement aux femmes, puis transporte les paniers, leur รฉvitant de perdre du temps sur les marchรฉs.
Ceux qui “nous payent ร la hauteur de nos efforts” comme Fatima Jobe sont “rares”, tรฉmoigne Khady Sรจne.
Et le Sรฉnรฉgal manque d’infrastructures et du soutien nรฉcessaire pour rivaliser avec les grands exportateurs vietnamiens, se lamente Fatima Jobe.


ย (Photo by NICOLAS REMENE / AFP)
– “Prix dรฉrisoires”ย –
Dans son รฉchoppe le long d’une route nationale poussiรฉreuse ร une trentaine de kilomรจtres de Mborine, Fatim Ndoye vend aux touristes des paniers colorรฉs de toutes tailles.
Elle les achรจte aux femmes de la rรฉgion le lundi au marchรฉ. “Les paniers se vendent ร des prix dรฉrisoires au Sรฉnรฉgal”, estime-t-elle, expliquant qu’elle vend par jour pour 3.000 francs (4,5 euros) de paniers en semaine et 10.000 francs (15 euros) les weekends.
Malgrรฉ des marges infimes, ces revenus sont essentiels dans un pays oรน des milliers de jeunes s’exilent pour fuir les difficultรฉs รฉconomiques.
Adama Fall, veuve de 49 ans, parvient ร faire vivre sa famille comme coordinatrice pour Imadi et en tressant de grands paniers.
Dans son village de Thiembe, plusieurs jeunes hommes sont partis tenter de rejoindre l’Europe en pirogue par la pรฉrilleuse route de l’Atlantique. Quatre d’entre eux n’ont pas donnรฉ signe de vie depuis cinq ans.
Prรจs d’elle dans la cour, sa plus jeune fille joue avec un groupe d’enfants autour des paniers qu’ils ont fabriquรฉs: les coutures sont dรฉfaites, des fils de plastique dรฉpassent, mais ils renferment le savoir des gรฉnรฉrations qui les ont prรฉcรฉdรฉs.
Humaniterre avec AFP
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