Lundi 15 Juillet 2024
Dori,ย Burkina Faso
Sous 43 degrรฉs, quelques maigres arbres peinent ร faire de l’ombre aux tentes et abris de fortune des camps prรจs de Dori. Dans le nord-est du Burkina Faso, des milliers de dรฉplacรฉs ont fui les violences djihadistes, vers ces refuges prรฉcaires oรน leur avenir semble sans espoir.
Dans le camp de Wendou 2 – une extension de l’immense camp รฉponyme qui hรฉberge ร lui seul quelque 3.000 dรฉplacรฉs – Hawa Mama, avoue n’avoir “mรชme plus la force de bouger”.
“Mรชme si cโest difficile ici, lร -bas (dans les villages, ndlr) cโest pire. On nโa pas dโautres choix que de rester ici. On nโa plus rien lร -bas. On est venu ici, on est obligรฉ de rester dans ces conditions”, raconte cette quinquagรฉnaire en fulfulde, la langue de l’ethnie peule, pagne rouge enveloppant sa tรชte.
Kirissi Sawadogo a aussi a fui son village de Lรฉlly, dans la rรฉgion du Sahel, pour sauver sa vie.
“Cโest ร cause de la situation que vit le pays. Ils sont venus dans notre village, ils nous ont menacรฉs, ils ont volรฉ notre bรฉtail, ils ont tuรฉ des gens. Cโest pour cela quโon a dรป fuir et quโon est arrivรฉ ici”, explique-t-elle ร l’AFP, en effritant du tรด brulรฉ, une pรขte รฉlaborรฉe ร partir de farine de mil.
Rarement nommรฉs par les dรฉplacรฉs, ces hommes armรฉs sont gรฉnรฉralement des combattants jihadistes, liรฉs ร Al-Qaรฏda ou ร l’Etat islamique, qui terrorisent les populations par des attaques sanglantes depuis prรจs de 10 ans au Burkina Faso.
La rรฉgion du Sahel paie un lourd tributย : un quart des deux millions de dรฉplacรฉs internes au Burkina Faso en sont originaires, selon des chiffres officiels de mars 2023 qui n’ont pas รฉtรฉ rรฉactualisรฉs depuis.
Le camp de Wendou a mรชme รฉtรฉ attaquรฉ en septembre 2023 et au moins 8 dรฉplacรฉs ont รฉtรฉ tuรฉs.
En dรฉbut d’annรฉe, 85% des รฉcoles et 69% des infrastructures sanitaires de la rรฉgion du Sahel รฉtaient fermรฉes, dโaprรจs le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Uniesย (OCHA).
– “Compter sur nous-mรชmes” –
Selon un classement du Conseil norvรฉgien pour les rรฉfugiรฉs (NRC, en anglais) publiรฉ lundiย 03 juin 2024 , le Burkina Faso vit la crise de dรฉplacement la plus nรฉgligรฉe au monde, pour la deuxiรจme annรฉe consรฉcutive.
“Le Sahel est une rรฉgion qui est systรฉmatiquement nรฉgligรฉe”, souligne Jan Egeland, secrรฉtaire gรฉnรฉral du NRC, en visite dans les camps prรจs de Dori, fin mai.
“Et maintenant, en plus de cela, il y a une crise diplomatique et politique entre les donateurs en Europe et en Occident, et les nouveaux gouvernements militaires, ร travers le Sahel”, poursuit-il.
Le Burkina Faso est gouvernรฉ, comme ses voisins le Mali et le Niger รฉgalement en proie ร des violences djihadistes, par un rรฉgime militaire, arrivรฉ au pouvoir par un coup d’Etat en 2022 et dont les relations avec les puissances occidentales – en particulier la France – sont tumultueuses.
Les autoritรฉs affirment rรฉguliรจrement obtenir des victoires sur les jihadistes, mais les attaques se poursuivent et une partie du territoire reste hors de contrรดle de l’armรฉe.
“Nous sommes juste lร , sans rien, nous devons compter sur nous-mรชmes pour survivre”, dรฉplore Amadou Dicko, arrivรฉ il y a 6 mois avec sa famille ร Torodi, un autre camp prรจs de Dori, oรน le paysage de dรฉsolation est le mรชme qu’ร Wendou.
Pour gagner quelques milliers de francs CFA, certains hommes font de l’orpaillage illรฉgal, dans les alentours, malgrรฉ les risques sรฉcuritaires.
Assise sur une natte ร mรชme le sol, dans un abri dโenviron 3 mรจtres carrรฉs fait de secco (une palissade vรฉgรฉtale), de bois et de bรขches, Aissetou Amadou est arrivรฉe au mรชme moment.
Avec sa famille, elle a dรป fuir son village, situรฉ prรจs de Gorgadji, menacรฉe par des “hommes armรฉs”.
“Ce sont les enfants qui essayent de rapporter ร manger. Hier ils ont pu rapporter 2 kilos de riz (achetรฉs en ville). On a cuisinรฉ la moitiรฉ dans la soirรฉe et le reste ce matin”, dit-elle, sans savoir quand sera possible le prochain ravitaillement.
– Approvisionnement risquรฉ –
Grande ville du nord-est du Burkina Faso, proche de la nationale 3 qui mรจne ร Ouagadougou, Dori est un point nรฉvralgique pour l’approvisionnement de la rรฉgion.
Mais si lโaide humanitaire pour les besoins essentiels parvient par les airs via les vols du Programme Alimentaire Mondial (PAM), les vivres, lโessence et les intrants agricoles nรฉcessaires passent encore par la route, sous escorte de lโarmรฉe.
Au bord de la RN 3, des dizaines de camions sont stationnรฉs, en attente du feu vert pour partir en convoi, sur ce tronรงon dangereux, rรฉguliรจrement ciblรฉ par les jihadistes qui se trouvent aux abords mรชmes de Dori.
“Avant, tu pouvais charger ton vรฉhicule ร 19h ร Ouagadougou, au plus tard, ร 5h ou 6h le lendemain le vรฉhicule รฉtait devant ta boutique”, relate Amadou Hamidou Dicko, prรฉsident des commerรงants de Dori.
“Actuellement, il faut attendre 15, 30 ou 45 jours, รงa dรฉpend, car on ne communique jamais le jour exact de dรฉmarrage du convoi”, dit-il.
Consรฉquenceย : le coรปt dโacheminement a augmentรฉ et se rรฉpercute sur les prix de vente.
“Il y a deux ou trois ans, le sac de riz de 50 kg se vendait entre 16.000 et 17.000 francs CFA (24-25 euros). Actuellement cโest 27.000 francs CFA (41 euros)”, dรฉtaille M. Dicko.
Alors parfois, les commerรงants optent pour ce quโils appellent “le contournement”, via d’autres axes, non escortรฉ, au risque de voir marchandises et camions volรฉs ou dรฉtruits.
Au camp de Wendou, Kirissi Sawadogo finit d’effriter le tรด. Ce soir-lร , elle ajoutera un peu d’eau et de sel et le donnera ร manger ร ses enfants.
Humaniterre avec AFP