Kwale,ย Kenya
Mardi 11 novembre 2025
Par Mary KULUNDU
Prรจs de la cรดte kรฉnyane, cinq petits villages et une forรชt se retrouvent malgrรฉ eux au coeur d’un jeu gรฉostratรฉgique global, impliquant notamment Chine et Etats-Unis, le sol sur lequel ils s’enracinent regorgeant de terres rares.
Mrima hill, jolie colline boisรฉe situรฉe prรจs de la frontiรจre tanzanienne, voit depuis quelques temps les visiteurs รฉtrangers se succรฉder. Car d’importantes rรฉserves, notamment de niobium, un minerai utilisรฉ pour renforcer l’acier, s’y trouvent.
Le site est petit: environ 3,6 km2 au total. Mais le gisement sur lequel il repose a รฉtรฉ รฉvaluรฉ en 2013 ร 62,4 milliards de dollars (environ 47 milliards d’euros d’alors) par Cortec mining Kenya, une filiale de sociรฉtรฉs anglaises et de l’entreprise canadienne Pacific Wildcat Resources.
Alors que la compรฉtition s’accรฉlรจre globalement pour l’accรจs aux terres rares, l’ex-ambassadeur par intรฉrim des Etats-Unis au Kenya, Marc Dillard, s’est donc rendu sur place en juin, selon plusieurs villageois interrogรฉs par l’AFP, ce qu’a confirmรฉ la reprรฉsentation diplomatique amรฉricaine ร Nairobi.
Washington fait de la sรฉcurisation des minerais critiques un รฉlรฉment central de sa diplomatie en Afrique, espรฉrant concurrencer le quasi-monopole de la Chine dans ce secteur stratรฉgique.
La Maison Blanche se fรฉlicite notamment d’รชtre parvenue ร un accord de paix entre le Rwanda et la Rรฉpublique dรฉmocratique du Congo -un pays extrรชmement riche en ressources miniรจres, mรชme si les violences perdurent dans l’est.
Vue aรฉrienne de la plage cรดtiรจre de Diani, une destination touristique populaire situรฉe ร 55 km au nord-ouest de la forรชt de Mrima Hill ร Lunga-Lunga, ร Ukunda, le 27 septembre 2025. Alors que les tensions mondiales et les droits de douane augmentent, les pays se disputent les minerais indispensables aux industries high-tech et bas carbone en plein essor. ย (Photo de Tony KARUMBA / AFP)
Domitila Mueni (ร gauche), 54 ans, trรฉsoriรจre d’une association forestiรจre communautaire (CFA) locale, rend visite ร l’une de ses voisines, Eunice Mwoki (ร droite), 56 ans, dans sa ferme, avec en toile de fond la forรชt de Mrima Hill ร Lunga-Lunga, dans le comtรฉ de Kwale, le 26 septembre 2025.
Vue aรฉrienne d’une partie de la forรชt de Mrima Hill ร Lunga-Lunga, dans le comtรฉ de Kwale, le 26 septembre 2025. (Photo de Tony KARUMBA / AFP)
– “Grosses voitures” –
Peu avant la venue du reprรฉsentant amรฉricain, un consortium australien avait fait en avril une offre pour exploiter les terres rares. Des ressortissants chinois ont รฉgalement rรฉcemment tentรฉ de visiter les lieux, oรน les spรฉculateurs fonciers affluent, affirme Juma Koja, un gardien de la communautรฉ.
“Les gens viennent ici dans de grosses voitures (…), mais nous les refoulons”, assure-t-il , dont une รฉquipe a dans un premier temps รฉgalement รฉtรฉ interdite d’accรจs ร la forรชt. “Je ne veux pas que mon peuple soit exploitรฉ”, justifie-t-il.
Le gardien craint des dommages environnementaux irrรฉversibles, notamment la perte d’arbres indigรจnes uniques comme la grande orchidรฉe, dรฉjร menacรฉe alors que l’exploitation miniรจre n’a pas encore dรฉbutรฉ. “Dans mon coeur, je pleure” ร cette pensรฉe, confie-t-il.
La forรชt luxuriante, riche en plantes mรฉdicinales, abrite en outre des sanctuaires sacrรฉs et assure depuis longtemps la subsistance de la population, bien que plus de la moitiรฉ de celle-ci vive aujourd’hui dans une pauvretรฉ extrรชme, selon des donnรฉes gouvernementales.
La communautรฉ locale s’inquiรจte surtout d’รชtre expulsรฉe du fait de l’exploitation du niobium dont elle ne toucherait rien.
“Oรน nous emmรจneront-ils?”, angoisse Mohammed Riko, 64 ans, vice-prรฉsident de l’Association communautaire de la forรชt de Mrima Hill. “Mrima est notre vie.”
Le Kenya a imposรฉ en 2019 une interdiction nationale sur les nouvelles licences miniรจres en raison de prรฉoccupations concernant la corruption et la dรฉgradation de l’environnement, interdiction qu’il a progressivement assouplie depuis.
La Chine limitant de plus en plus ses propres exportations de terres rares, Nairobi voit dรฉsormais des opportunitรฉs ร saisir.
Mohammed Bakari Jumadari (ร gauche), 64 ans, ancien de la communautรฉ autochtone cรดtiรจre de Wadigo et membre d’une association forestiรจre communautaire (CFA) locale, est photographiรฉ dans la forรชt de Mrima Hill aux cรดtรฉs de son compatriote, Juma Koja (au centre), 33 ans, garde forestier local de la CFA, lors d’une visite sur certains sites de projets de conservation communautaire ร Lunga-Lunga, dans le comtรฉ de Kwale, en septembre. (Photo de Tony KARUMBA / AFP)
Stephen Munga, 59 ans, apiculteur local, sort avec des bouteilles de miel biologique rรฉcoltรฉ dans certaines de ses ruches traditionnelles installรฉes dans la forรชt de Mrima Hill, depuis l’une des maisons de sa propriรฉtรฉ situรฉe ร la pรฉriphรฉrie de la forรชt de Lunga-Lunga, dans le comtรฉ de Kwale, le 26 septembre 2025. ย (Photo de Tony KARUMBA / AFP)
Des habitants marchent le long de la route principale devant le panneau d’une รฉcole professionnelle prรจs de la forรชt de Mrima Hill ร Lunga-Lunga, dans le comtรฉ de Kwale, le 26 septembre 2025. (Photo de Tony KARUMBA / AFP)
– “Mourir pauvres” –
Le ministรจre des Mines kรฉnyan a annoncรฉ cette annรฉe des “rรฉformes audacieuses”, notamment des allรฉgements fiscaux et une transparence accrue des licences, visant ร attirer les investisseurs et ร faire passer le secteur de 0,8% du PIB ร 10% d’ici 2030.
Mais le Kenya manque de donnรฉes prรฉcises sur ses sols, estime Daniel Weru Ichang’i, professeur retraitรฉ de gรฉologie รฉconomique ร l’Universitรฉ de Nairobi.
“Il existe une vue romantique des mines, qui sont perรงues comme un secteur oรน l’on fait de l’argent facilement. Il faut que nous redescendions sur terre”, observe-t-il.
Le corruption, trรจs rรฉpandue au Kenya, “rend moins attractif ce secteur, dรฉjร ร trรจs haut risque” pour d’รฉventuels investisseurs, poursuit Daniel Weru Ichang’i.
En 2013, le Kenya avait rรฉvoquรฉ la licence miniรจre accordรฉe ร Cortec Mining Kenya, invoquant des irrรฉgularitรฉs environnementales et de licence. L’entreprise affirme de son cรดtรฉ s’รชtre vue sanctionnรฉe pour avoir refusรฉ de payer un pot-de-vin au ministre des Mines de l’รฉpoque, ce que celui-ci nie. Elle a perdu son recours devant un tribunal international.
Domitilla Mueni, trรฉsoriรจre de l’Association de Mrima Hill, espรจre malgrรฉ tout d’importantes retombรฉes. Elle-mรชme a plantรฉ des arbres sur son terrain et l’a cultivรฉ โ afin de maximiser les profits au cas oรน des entreprises miniรจres voudraient le racheter.
Et de s’interroger: “Pourquoi devrions-nous mourir pauvres alors que nous avons des minerais?”
Humaniterre avec AFP






