Cela fait déjà plus de 3 ans que je me consacre exclusivement à la lutte contre les violences basées sur le genre dans des situations d’urgence humanitaire. Je suis arrivée en Côte d’Ivoire, le 8 mars (2009,2010 2011 ?) et j’occupe au sein du Fonds de Nations Unies pour la Population (UNFPA), le poste de spécialiste du secteur VBG, depuis cette date.
De retour, chez moi en Europe pour un court congé au début du mois de mai (2010 ? 2011), une de mes meilleures amies m’a demandé comment j’arrivais encore à « gérer » un travail aussi difficile. En fait, elle était préoccupée par le risque du traumatisme secondaire, causé à la fois par le fait de vivre dans une situation de conflit et par la possibilité que je m’identifie un peu trop à une survivante de viol, du fait que je sois moi-même une femme. Cette identification entre moi et ses nombreuses survivantes que je côtoyais tous les jours dans mon travail, pouvait, en effet, être un très lourd fardeau pour moi… Un fardeau qui pouvait m’empêcher de continuer et me donner envie de laisser tomber mon travail.
A ce moment, je ne fus pas capable de donner une réponse à sa question…
Entre janvier et mai 2011, en Côte d’Ivoire, plus de 325 cas de viols ont été commis, dont 71 à l’ouest du pays et 132 dans le district d’Abidjan. Plus du 40% de ces viols on été perpétrés par des hommes en armes, autant par des miliciens que par des soldats de l’armée régulière. En 2010, période relative de paix ; moins de 3% des violences sexuelles avaient été commises par des combattants. La comparaison des données est étonnante, triste, angoissante et épuisante. Ce constat aura des conséquences sérieuses, non seulement sur les survivantes de ces actes, mais aussi au sein des familles, communautés qui les ont subis et au sein de la société ivoirienne dans son ensemble, d’une manière ou d’une autre…
Sur les viols en période de guerre, une idée, acceptée par beaucoup, circule. Elle découle d’une logique en 3 parties (syllogisme) :
- « La Côte d’Ivoire est replongée dans la violence »
- « Pendant les périodes de guerre, la violence sexuelle est normalisée.
- donc « c’est normal qu’en Côte d’Ivoire, la violence sexuelle ait été utilisée comme arme de guerre ! ».
Je rejette catégoriquement cette logique, je ne puis me résoudre à accepter cela ! La justification de l’augmentation des violences sexuelles, leur utilisation pour humilier les adversaires et semer la terreur durant un conflit donné est simplement, légalement, éthiquement et viscéralement inacceptable. Du plus profond de mon cœur, je sens la nécessité urgente d’agir, de faire entendre les voix de toutes ces victimes afin que tout le monde ait le courage de dire « plus jamais ça ! ». Voilà l’idée de la justice qui m’anime et me donne la force de continuer cette lutte. Cet engagement, je le dois aux femmes et filles de Côte d’Ivoire. Leur courage, me donne le courage de continuer et si en tant que femme, je peux percevoir une toute petite partie ; de leur immense souffrance et que cela me donne la force de continuer et bien, c’est tant mieux !
C’est le moment d’agir, de nous engager, tous ensemble pour lutter contre ce fléau silencieux qui détruit tant de vies. Voici la réponse que je donnerai à mon amie la prochaine fois que je la verrai !