Réalisée par Youssouph BODIAN-
Samedi 09 décembre 2023
« Nous avons brisé le tabou de la transplantation d’organe »
Après un long processus, le Sénégal a finalement réalisé ses premières transplantations rénales. Quel sentiment vous anime après avoir piloté ce dossier?
Je rends grâce à Dieu et je remercie le Président de la République qui s’est toujours engagé pour la réussite de ce projet. C’est un sentiment de grande satisfaction, parce que nous avons brisé le tabou. J’ai toujours été convaincu que la transplantation est à la portée des médecins sénégalais. Nous avons les ressources humaines qu’il faut et il ne manquait que la volonté.
Je vois également l’espoir que ça suscite auprès des autres malades, parce que nous avons beaucoup de patients qui attendent. Mais il faut préciser que malheureusement tous les dialysés ne peuvent pas être transplantés. Il y a une longue liste d’attente, mais l’opération nécessite des moyens conséquents.
Justement est ce que la transplantation est à la portée de tous les malades sénégalais?
Je pense que la transplantation doit être subventionnées par l’État. Nous avons réussi l’organisation au plan juridique et pratique, donc il nous reste à relever le défi du financement.
Déjà, l’État du Sénégal met beaucoup d’argent dans la dialyse, et la transplantation coûte moins chère avec beaucoup plus d’avantages. Si on veut respecter l’équité dans l’accès aux soins, il va falloir mettre en place une subvention. Et ensuite, on va fixer des objectifs aux établissements de santé public qui seront agréés.
On leur donne un nombre de transplantations à faire et s’ils les font bien, on augmente la subvention, au cas contraire, on la diminue. Il faudra absolument résoudre le problème des médicaments et de l’évaluation, sinon la transplantation sera une activité élitiste pour des personnes nanties.
Il faut payer combien pour bénéficier d’une transplantation rénale au Sénégal?
Nous sommes en train d’évaluer les coûts exacts, mais les premières estimations ont été arrêtées à 7 à 8 millions de Fcfa par opération. Pour retirer le rein par exemple, l’opération coûte environ 2 millions de Fcfa. Mais il faut noter que pour les trois premières opérations que nous avons réalisées, c’est l’hôpital qui a pris en charge totalement les frais. Mais aucun établissement public de santé ne peut continuer à lui seul de supporter ces charges.
On a montré que c’est possible, donc on doit mettre les conditions qu’il faut pour qu’on continue à transplanter. On a juste choisi trois malades pour démarrer, mais il y a des centaines qui sont sur la liste d’attente.
L’autre défi, c’est également d’avoir un plateau technique adapté dans les différents hôpitaux ?
L’un des rôles du conseil national du don et de la transplantation est de veiller à la sécurité sanitaire et à la transparence. Un hôpital qui veut transplanter est obligé de soumettre un dossier de demande d’agrément. Il y a des références avec beaucoup de critères à remplir, en terme de ressources humaines, d’infrastructures et d’organisation interne entre autres. Il y a une équipe qui va ensuite inspecter l’hôpital et faire des recommandations. Par exemple, un hôpital ne peut pas transplanter s’il n’a pas de néphrologue, de service d’urologie ou d’un bloc opératoire fonctionnel. Ce sont les critères majeurs à remplir pour avoir l’autorisation de transplanter. L’agrément a une durée de deux ans renouvelable.
Comment le comité que vous dirigez compte encadrer la transplantation pour éviter le trafic d’organes au Sénégal ?
Il faut savoir que chaque donneur doit d’abord accorder son consentement au président du tribunal d’instance. Il va donner les preuves du lien de parenté avec celui à qui il donne un rein. Et puis, le juge aidé par des experts va vérifier les motivations du donneur. C’est ce qui s’est passé avec les trois premiers donneurs.
A l’issu de cette audience, le président du tribunal dresse un procès-verbal pour donner son aval ou non. Donc tout le processus de don d’organe est bien encadré.
En tant que néphrologue, vous faites partie des médecins qui ont effectué les premières transplantations. Comment se portent vos trois premiers patients transplantés?
Ils se portent très bien et c’est émouvant de voir dans leur regard l’espoir retrouvé. Ils sont entrain de retrouver une vie normale. C’est magnifique de voir que ça existe encore dans l’humanité la générosité de donner un organe, il faut l’encourager. L’autre défi, c’est l’information.
Nous avons élaboré des outils de communication, que nous n’avons pas encore les moyens de diffuser largement dans les médias. Nous comptons également beaucoup sur la presse pour que les populations sachent que le don est possible au Sénégal et surtout que rien n’y s’oppose au plan religieux. Nous avons d’ailleurs élaboré dans ce sens un guide avec les imams pour les musulmans et un autre avec le clergé pour les catholiques.
Youssouph BODIAN – Correspondant Humaniterre au Sénégal
Crédit photo : Y. B.