Lundi 10 novembre 2025
Par Kadiatou SAKHO
“En tant que Nigรฉriane, j’aimerais que les marques รฉtrangรจres indiquent sur leurs produits “originaire du Nigeria” et “fabriquรฉ en Italie” ou “fabriquรฉ en France”, ajoute-t-elle.
Selon le Conseil nigรฉrian de promotion des exportations, le Nigeria exporte 90% de sa production de cuir, principalement vers l’Italie et l’Espagne, qui reprรฉsentent plus de 71% du volume total.
Ces exportations gรฉnรจrent “environ 600 millions de dollars de revenus par an”, explique Oluwole Oyekunle, chercheur de l’Institut nigรฉrian des technologies du cuir et des sciences de Samaru dans l’รtat de Kaduna (nord).




Un artisan du cuir coud des morceaux de cuir et de tissu au marchรฉ Kurmi de Kano, le 10 septembre 2025. Kano, centre historique du cuir, approvisionne des gรฉants du luxe tels que Louis Vuitton, Gucci et Ralph Lauren, le Nigeria exportant prรจs de 90 % de ses peaux ร l’รฉtranger. Mais comme la finition est rรฉalisรฉe en Europe, le label ยซ Made in Nigeria ยป disparaรฎt, remplacรฉ par ยซ Made in Italy ยป ou ยซ Made in Spain ยป. Aujourd’hui, certains crรฉateurs nigรฉrians tentent de redonner au cuir son identitรฉ nationale en crรฉant des marques locales. (Photo par OLYMPIA DE MAISMONT / AFP)
– Kano, berceau des tanneries –
C’est dans l’รtat de Kano, au nord du Nigeria, que les grandes marques de luxe s’approvisionnent, grรขce ร des intermรฉdiaires qui font le lien entre elles et les tanneurs. La rรฉgion abrite 11 tanneries, dont Ztannery, en activitรฉ depuis 2010.
Son entreprise reรงoit chaque jour des dizaines de peaux fraรฎches de chรจvres, moutons et agneaux du Nigeria et des pays voisins. Elles sont triรฉes et traitรฉes en neuf jours.
“Nous recevons la matiรจre premiรจre et nous la transformons de zรฉro jusqu’au cuir semi-transformรฉ, ce qui reprรฉsente 80% du processus complet”, explique son propriรฉtaire, Abbas Hassan Zein, 47 ans.
Puis les intermรฉdiaires acheminent les peaux en Europe,ย oรน ils procรจdent ร leur mise en forme, avant de les vendre ร des marques de luxe comme “Gucci, Ferragamo, Prada, Louis Vuitton, tous les grands noms”, indique M. Zein.

Dans la tannerie, les salariรฉs s’activent auprรจs des machines qui lavent, traitent et teignent les peaux, habituรฉs au bruit incessant, ร l’air saturรฉ d’odeurs รขcres et ร la chaleur รฉtouffante.
Les tanneries modernes comme Ztannery, รฉquipรฉes de machines permettant de procรฉder ร toutes les รฉtapes de traitement du cuir, n’acceptent que des commandes en grande quantitรฉ, payรฉes en dollars ou en euros, ce qui limite l’accรจs des designers locaux au cuir nigรฉrian.
Beaucoup d’entre eux se tournent alors vers la tannerie traditionnelle de Majema, fondรฉe en 1932 au cลur de la ville de Kano, oรน tout est fait ร la main.
Lร , des dizaines de tanneurs s’affairent ร nettoyer et teindre les peaux ร mรชme le sol en terre, au milieu des dรฉchets plastiques.
Inlassablement, ils trempent les peaux dans des bassins remplis d’eau et de produits chimiques, et enlรจvent minutieusement les poils restants.
“Nos clients viennent du nord, du sud, et nous exportons aussi vers des pays voisins comme le Niger, le Cameroun, le Tchad, Cotonou (Bรฉnin), ainsi qu’en Europe”,ย explique Mustapha Umar, 52 ans, un responsable de la tannerie, debout devant des peaux de chรจvre suspendues ร des fils, qui seront teintes en rouge et jaune le lendemain.
– Structurer la filiรจre –
En 2017, Femi Olayebi, fondatrice de la marque nigรฉriane Femihandbagsย a crรฉรฉ le Lagos Leather Fair, un รฉvรฉnement annuel qui rassemble une centaine de professionnels du cuir ร Lagos, la capitale รฉconomique du Nigeria.
“Il manquait une plateforme dรฉdiรฉe aux designers, aux produits et aux fournisseurs de cuir, qui montre que les Nigรฉrians, avec leurs propres moyens, sont capables de crรฉer des articles qui mรฉritent d’รชtre achetรฉs”, confie-t-elle .
Des initiatives publiques et privรฉes se multiplient pour structurer la filiรจre dans le pays le plus peuplรฉ du continent.
ร Kano, des “marques venues d’Inde, de Chine et d’Europe, pas forcรฉment issues du secteur du luxe, manifestent un rรฉel intรฉrรชt pour produire ici”, affirme Tijjani Sule Garo, directeur gรฉnรฉral de GB Tannery, une entreprise familiale qui remonte ร trois gรฉnรฉrations.
En aoรปt, l’รtat de Lagos a inaugurรฉ une usine dans le quartier de Mushin, destinรฉe ร produire des articles en cuir et ร crรฉer 10.000 emplois, non loin de l’un des plus grands marchรฉs de cuir du pays.
“Il faut de meilleures machines, un meilleur accรจs ร du cuir de qualitรฉ nigรฉrian, et surtout, de meilleures formations pour รชtre compรฉtitif notamment dans le luxe face aux gรฉants de l’industrie”, estime Femi Olayebi.
Pour David Lawal, 26 ans, responsable marketing de la marque de maroquinerie Morin.O, au-delร de l’aspect commercial, il s’agit de valoriser une identitรฉ.
De nombreux clients recherchent “une expression intemporelle du patrimoine”, racontรฉe ร travers des produits en cuir, crรฉรฉs au Nigeria et fabriquรฉs par des Nigรฉrians, confie-t-il.
Humaniterre avec AFP
Photos Olympia de Maismont






