Samedi 08 MARS 2025
Montreuil,ย France
“Depuis mon opรฉration, je me sens libรฉrรฉe. C’est comme une nouvelle vie.” Bintou a appris par hasard qu’elle avait รฉtรฉ excisรฉe dans son pays natal, le Mali.
Installรฉe en France depuis dix ans, elle vient de bรฉnรฉficier d’une chirurgie rรฉparatrice ร l’hรดpital de Montreuil.
“C’รฉtait la premiรจre fois que j’en parlais. J’ai passรฉ une heure ร pleurer”, se rappelle cette employรฉe dans le secteur bancaire, 27 ans, ร la sortie de sa consultation post-opรฉratoire.
Dans une unitรฉ spรฉcialisรฉe de cet hรดpital de Seine-Saint-Denis, les victimes d’excision peuvent voir une sage-femme, une psychologue, une sexologue puis, si elles le souhaitent, une chirurgienne pour รชtre opรฉrรฉes.
A partir du 8 mars, date de la Journรฉe internationale des droits des femmes, le parcours sera intรฉgralement pris en charge par la Sรฉcuritรฉ sociale, et non plus seulement l’opรฉration.
Le dispositif pourrait รชtre gรฉnรฉralisรฉ en France, si l’expรฉrimentation de trois ans est validรฉe.
“Ma famille n’est pas encore au courant. Je vais leur en parler cet รฉtรฉ quand je retournerai au Mali. J’ai besoin d’en discuter avec ma maman, qu’elle s’excuse. Je lui en ai beaucoup voulu”, tรฉmoigne Bintou, une semaine aprรจs son opรฉration.ย “J’ai appris que j’avais รฉtรฉ excisรฉe en surprenant une conversation tรฉlรฉphonique. Je n’en ai aucun souvenir, je pense que j’รฉtais bรฉbรฉ”.
– “Une revanche” –
Selon le ministรจre de l’Egalitรฉ femmes-hommes, le nombre de femmes excisรฉes en France est estimรฉ ร 125.000.
A Montreuil, la majoritรฉ des patientes accueillies sont arrivรฉes en France aprรจs avoir รฉtรฉ excisรฉes dans leur pays d’origine.
“D’autres ont รฉtรฉ excisรฉes dans le pays d’origine des parents pendant les vacances, quelques-unes l’ont รฉtรฉ en France dans les annรฉes 1980”, indique Sarah Abramowicz, gynรฉcologue obstรฉtricienne qui a crรฉรฉ l’unitรฉ en 2017.
Une autre patiente se souvient avoir รฉtรฉ excisรฉe, ร six ans, dans un appartement, en rรฉgion parisienne.
Elle se rappelle avoir vu des enfants sortir de l’immeuble en pleurs, sans qu’elle ne sache pourquoi, puis de la douleur ressentie.
Son exciseuse, Hawa Grรฉou, a รฉtรฉ condamnรฉe en 1998 ร huit ans d’emprisonnement pour la mutilation de 48 fillettes.
“Ma cousine s’est fait rรฉparer, elle m’a dit que c’รฉtait comme si on lui avait remis ce qu’on lui avait volรฉ. รa m’a donnรฉ envie, j’ai toujours eu le sentiment qu’il me manquait quelque chose, je me sentais diffรฉrente des autres quand je parlais de sexualitรฉ avec mes amies”, raconte pendant sa consultation la Malienne รขgรฉe de 45 ans.ย Elle se fera opรฉrer le 11 mars.

– “Lutte fรฉministe” –
“C’est une opรฉration assez facile, basรฉe sur les mรชmes techniques que les chirurgies de changement de genre”, explique Emilie Orain, chirurgienne formรฉe par Sarah Abramowicz.
“Je suis contente de l’avoir dรฉcidรฉ seule, sans en parler avec mes parents. C’รฉtait une revanche, parce que quand j’ai รฉtรฉ excisรฉe, on ne me l’avait pas demandรฉ non plus”, souligne Bintou. “Pouvoir avoir un rapport sexuel pour la premiรจre fois ร 27 ans, et rรฉduire les risques de complications pendant l’accouchement, c’est ce qui m’a le plus motivรฉ.”
“Je trouve รงa joli, je suis trรจs contente, รงa m’a fait oublier beaucoup de choses”, se rรฉjouit une autre patiente, Djeni Coulibaly, demandeuse d’asile, entre deux รฉclats de rire. Victime dโexcision ร 14 ans en Cรดte dโIvoire, mariรฉe de force, elle a รฉtรฉ opรฉrรฉe il y a trois semaines, aprรจs avoir fui son pays.
Pour beaucoup de femmes, l’excision n’est que le dรฉbut d’une sรฉrie de violences. Dans l’unitรฉ, elles sont nombreuses ร avoir subi violences sexuelles, viols conjugaux, mariages forcรฉs. Certaines ont fui leur pays pour รฉviter que leur fille ne soit elle aussi excisรฉe.
“Je me dis que c’est une lutte fรฉministe”, revendique Sarah Abramowicz.
“L’opรฉration peut redรฉclencher des traumatismes, des flashbacks, des cauchemars. C’est pour cela qu’on le fait sous anesthรฉsie gรฉnรฉrale”, souligne Emilie Orain aux patientes en consultation.
Gรฉnรฉralement, “elles le cachent ร leur conjoint qui n’est pas d’accord. Dans certaines cultures, ils pensent que les femmes sont intenables si on ne leur coupe pas le clitoris”, regrette la chirurgienne.
Deux cents femmes suivent ce parcours de soin chaque annรฉe. La moitiรฉ se fait opรฉrer. Dans les trois ans ร venir, l’unitรฉ espรจre en accueillir un millier.
Humaniterre avec AFP