Aide au développement : Quelle nécessité, quelle efficacité ?

Un cataclysme. C’est ainsi qu’on peut qualifier la décision de suspension des activités de l’Agence des Etats-Unis pour le développement International (U.S. Agency for International Development – USAID) prise par le président Donald J. Trump, nouveau président des Etats-Unis, juste après son entrée officielle en fonction. Une décision inattendue, extrême, voire injuste, mais compréhensible au regard des informations qui fusent relativement à l’usage des aides au développement par les Gouvernements, institutions ou structures destinataires, à leur finalité et à leur efficacité réelle sur les populations vulnérables, principales destinatrices. Chaque année, ce sont plusieurs dizaines de milliards de dollars qui sont alloués par les Etats-Unis dans le cadre de l’aide au développement. Pour l’année fiscale 2024, le budget du président des Etats-Unis était de 63,1 milliards de dollars pour le département d’État et l’USAID. Ce budget est reparti entre des aides directes aux Gouvernements, des financements à des ONGs, des projets humanitaires et des initiatives au développement dans des secteurs comme la santé, l’éducation et l’agriculture.

Qu’est-ce que l’aide au développement et quelle est sa finalité ?

L’aide au développement ou Aide Publique au Développement (APD) désigne les ressources ou dons, prêts avantageux ou expertise, fournis par des pays riches ou des organisations internationales pour soutenir les pays moins favorisées. Son objectif initial est d’améliorer les conditions de vie, de stimuler la croissance économique et de réduire la pauvreté. Depuis 1960, des milliards de dollars ont été investis dans cette démarche, notamment en Afrique, en Asie et en Amérique latine, avec des résultats qui suscitent aujourd’hui beaucoup de débats. D’un côté, on peut pointer des succès tangibles précis comme le financement d’infrastructures essentielles (les écoles, les hôpitaux, les réseaux d’eau potable), augmentant ainsi les taux de scolarisation ou réduisant la mortalité infantile. On peut aussi présenter l’APD comme étant un levier d’attrait d’autres financements du secteur privé dans des zones où les investisseurs hésitent à s’engager, en soutenant des programmes spécifiques liés à la santé ou à l’agriculture, avec un impact direct sur les populations. De l’autre côté, l’efficacité globale de cette aide est remise en question. De nombreux exemples montrent que l’aide n’a pas toujours conduit à une croissance économique durable ni à réduire significativement la pauvreté à l’échelle des pays. L’une des raisons réside  en grande partie dans la mauvaise utilisation des ressources allouées (détournement, corruption ambiante ou projets mal conçus). L’autre raison est la création d’une dépendance, qui n’incite pas les Gouvernements locaux à développer leurs propres ressources ou à réformer et assainir en profondeur leurs institutions. Cette aide sert, en effet, plus les intérêts des donateurs (influence politique, contrats pour leurs propres entreprises) que ceux des réels bénéficiaires. Plus grave, dans des cas spécifiques, elle aurait servi à financer des groupes terroristes, des révolutions et des médias à travers le monde, favorisant ainsi des changements de régimes politiques selon la volonté des donateurs.

Quelle est l’efficacité de l’aide au développement ?

De façon générale, certains indicateurs concrets permettent d’évaluer l’efficacité de l’aide au développement. Entre autres, le taux de scolarisation, l’accès aux soins de santé, l’accès à l’eau potable, le kilométrage de route construites, surtout en zones rurales productrices, le pouvoir d’achat des populations, l’accès à l’emploi. Mesurer l’impact de l’aide au développement sur la Gouvernance ou la stabilité économique est beaucoup plus compliqué. Par exemple, les pays donateurs réunis au sein de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), tentent d’améliorer leur gestion en évaluant régulièrement leurs actions. Les résultats varient, toutefois, d’un cas à l’autre. En France, l’aide au développement suit de priorités très claires (efficacité avec des résultats mesurables, transparence sur l’utilisation des fonds et cohérence avec les politiques globales), en conformité avec les Objectifs de Développement Durable (ODD) qui visent un monde plus équitable d’ici à 2030. Là aussi, les sommes en jeu (15 milliards d’euros par an) ne produisent pas toujours les effets escomptés. Les débats qui agitent en ce moment l’usage des fonds alloués par l’Agence Française pour le Développement (AFD) à plusieurs projets à travers le monde en sont un exemple. Des voix très officielles s’élèvent pour dénoncer un immense scandale dans leur gestion, presqu’équivalent à ceux qui agitent les Etats-Unis, avec la situation que traverse l’USAID, à quelques nuances près.

Gel ou arrêt définitif des activités de l’USAID ?

La décision du nouveau Président des Etats-Unis, Donald J. Trump, telle qu’elle se dessinait au 27 février 2025, semble évoluer vers une mesure définitive, bien que des incertitudes persistent en raison de batailles juridiques et de déclarations parfois contradictoires de l’administration. Au départ, au moment de son investiture, le 20 janvier 2025, le président Trump avait signé un décret gelant l’aide au développement des Etats-Unis pour 90 jours. Une décision qui a suspendu temporairement la majorité des activités de l’USAID. Ce gel avait pour but, selon les déclarations officielles, de réévaluer les programmes d’aide pour les aligner sur les priorités de la nouvelle administration visant à réduire les dépenses publiques. A ce moment-là, cette décision semblait être provisoire, le temps d’un examen plus profond. Toutefois, les actions qui ont suivi laissent penser que l’objectif est plus radical, au regard des découvertes intervenues ultérieurement lors d’investigations et d’interrogations de différents Gouvernements ou organisations destinataires, sur l’usage précis de certains fonds alloués.

Des coupes massives dans les effectifs de l’agence et la suppression de nombreux contrats d’aide étrangère dans différents pays avec différentes ONGs ont alors été décidés au regard des découvertes inquiétantes, voire alarmantes faites. De plus de 10 000 employés, l’Agence est passée à moins de 300, selon certaines sources. Et ce n’est pas fini. L’administration Trump a déjà réduit l’aide de 60 milliards de dollars et continue de trancher dans les contrats. Des recours juridiques ont été intentés par les opposants à cette mesure, dont l’ex-Directrice de l’USAID, Samantha Power et Global Health Council, qui brandissent l’impact de l’agence sur le plan humanitaire et son importance pour l’influence américaine (Soft Power), tout en minimisant la corruption, la dépendance et l’instrumentalisation politique de l’agence à travers le monde. D’autant qu’ils n’apportent pas de solutions concrètes pour pallier les failles qu’eux-mêmes ont parfois favorisé ou sur lesquelles ils ont fermé les yeux. Ce qu’il faut retenir de toute cette histoire, c’est que bien que la mesure ait débuté comme temporaire (gel de 90 jours) l’ampleur des découvertes, les coupes budgétaires, les déclarations et les dernières avancées juridiques donnent à penser que les Etats-Unis s’acheminent vers une suppression définitive. Pour le DOGE, le Soft Power des Etats-Unis peut être gérée d’une autre façon que par des aides mal ficelées, mal attribuées ou détournées de leurs vrais objectifs et qui endettent le contribuable américain.

Les découvertes inquiétantes de l’Administration Trump

De Haiti, à l’Ouganda en passant par l’Ukraine et le Canada, l’administration Trump, à travers le Department Of Government Efficiency (DOGE) – Département de l’efficacité Gouvernementale, a fait des découvertes incroyables sur l’usage des fonds alloués par l’USAID à certains Gouvernement et organisations, se heurtant parfois aux services de sécurité de l’agence aux Etats-Unis et dans ces pays étrangers, créant ainsi une confrontation entre eux. Après le tremblement de terre dévastateur de 2010 en Haïti, l’USAID a alloué environ 4,4 milliards de dollars d’aide étrangère à ce pays de différentes façons. Officiellement, parmi ces fonds, au moins 1,5 milliard de dollars ont été destinés à l’aide humanitaire immédiate, tandis que 3 milliards de dollars supplémentaires ont été affectés à la récupération, la reconstruction et le développement. Des interrogations subsistent, cependant, sur la bonne utilisation des ressources. Les recherches ont permis de constater que moins de 2% de ce montant sont parvenus aux Haïtiens bénéficiaires, tandis que 56% de ce montant ont renfloué des entreprises à Washington.

Au Canada, les découvertes faites sur les fonds alloués par l’USAID ont révélé plusieurs dépenses controversées et inefficaces. Des milliards de dollars alloués à des programmes d’équité, d’inclusion et de diversité ont été remis en cause, notamment des consultants sur le genre en Amérique centrale et des bourses pour la diversité en Birmanie. Ces découvertes ont suscité des débats sur l’efficacité et la transparence des dépenses publiques, ainsi que sur la nécessité de réévaluer certains programmes. Le site web de l’USAID a été fermé, ses comptes sur les réseaux sociaux supprimés et les employés mis en congé administratif ou rapatriés, renforçant l’idée d’un démantèlement.

En Ouganda et en Ukraine, plusieurs irrégularités ont aussi été trouvées dans la gestion des fonds. En Ukraine, il a été révélé que des millions de dollars destinés à l’aide économique ont été utilisés à des fins douteuses. Par exemple, des fonds ont été dépensés pour envoyer des mannequins et des designers ukrainiens à des événements de mode à New York, Londres et Paris. De plus, des sommes importantes ont été allouées à des entreprises pour des projets non essentiels, tels que des lignes de meubles de luxe et des marques de vêtements contemporains ou des magazines de mode. Par exemple, Volodymyr Zelensky et son épouse Olena Zelenska ont posé pour un photo shoot pour l’édition américaine de Vogue en juillet 2022. Les photos ont été prises par la célèbre photographe Annie Leibovitz et ont suscité des réactions diverses. En Ouganda, l’USAID a effectué des paiements de 153 millions de dollars pour diverses dépenses, y compris des salaires et des dettes envers des organisations. Ces paiements ont été effectués malgré un gel des fonds d’aide étrangère imposé par l’administration Trump. Ces découvertes ont suscité des préoccupations quant à la transparence et à l’efficacité de l’utilisation des fonds de l’USAID dans ces pays. D’autres exemples existent.

Concernant le financement de groupes terroristes à travers le monde, l’administration Trump s’est rendu à l’évidence, à l’issue des recherches approfondies, qu’une partie de l’aide américaine avait été détournée pour servir des intérêts d’organisations terroristes un peu partout, y compris en Afrique, malgré des mesures pour surveiller et prévenir ces détournements, mais aussi alimenter des révolutions dans certains pays et subventionner des médias de grande envergure pour imposer une rhétorique favorable aux actions posées, comme en Moldavie. Officiellement, ces fonds ont été alloués pour promouvoir la démocratie, la liberté de la presse et la libre circulation de l’information. En Europe centrale et orientale 707 médias et 6200 journalistes, y compris l’AFP, ont reçu des fonds pour promouvoir la démocratie et la liberté de la presse. Reuters a reçu 9 millions de dollars de la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) pour évaluer des outils de défense. 9 médias sur 10 ont reçu des fonds pour soutenir l’effort de guerre en Ukraine. BBC Media Action a reçu des fonds pour soutenir des médias locaux dans le monde entier. For the DOGE, America Soft Power can be managed in a way other than through ill-conceived and badly used aid.

Des préoccupations sur les fonds de l’AFD 

Le cas de l’USAID n’est pas isolé. Des voix plus ou moins officielles s’élèvent depuis quelque temps pour évoquer une schéma similaire en ce qui concerne l’aide allouée par l’Agence Française pour le Développement (AFD) à plusieurs organisations et des Gouvernements. L’usage final d’une bonne partie de ces ressources se ferait au détriment des intérêts généraux de la France et servirait plutôt des intérêts privés particuliers, d’où la nécessité d’une plus grande transparence et d’une meilleure gestion des fonds alloués par l’Agence. Plusieurs rapports, enquêtes et articles ont, en effet, mis en lumière des problèmes de transparence et d’efficacité dans l’utilisation de ces fonds. Par exemple, Philippe Marchesin, Maître de conférences en Sciences politiques à l’Université Paris 1, chercheur et auteur de plusieurs livres dont un sur l’aide publique au développement, a critiqué l’opacité et les intérêts cachés derrière cette aide. Une enquête menée par Disclose a révélé que l’AFD finance des projets opaques en Afrique et s’abrite derrière le secret bancaire pour ne pas dévoiler ses pratiques. Bertrand Walckenaer, Directeur général adjoint de l’AFD, a été interrogé dans le cadre de l’enquête menée par Disclose. Il a défendu l’agence contre les accusations de favoritisme envers les entreprises françaises. Il a expliqué que la surreprésentation des entreprises françaises dans les appels d’offres de l’AFD s’expliquait par le “niveau d’exigence” demandé par l’AFD en matière de “normes de responsabilité sociale et environnementale”. Xavier Azalbert, Rédacteur en chef de FranceSoir, a publié une enquête exclusive sur les pratiques de l’AFD, mettant en lumière des financements controversés et un manque de transparence.

Le Rapport de Focus 2030, intitulé « L’aide publique au développement de la France dans un monde en turbulences : la fin d’une ambition ? », analyse l’évolution de la politique d’aide publique au développement (APD) de la France depuis 2017 et met en lumière les restrictions budgétaires importantes qui affectent l’APD française et questionne la réalisation des objectifs. Il a servi de base aux critiques formulées par les hommes politiques français. En effet, au niveau du paysage politique français, Sarah Knafo, eurodéputée et vice-présidente de Reconquête, a critiqué l’Agence française de développement (AFD) pour ce qu’elle considère comme un gaspillage de l’argent des Français. Elle a dénoncé le financement de projets qu’elle juge incongrus, comme un programme de renforcement de l’égalité de genre en Albanie et un projet de budgétisation sensible au genre en Jordanie. Elle a également exprimé des préoccupations concernant la possibilité que des fonds destinés à Gaza soient interceptés par le Hamas. D’autres élus et sénateurs sont allés dans son sens sans entrer dans des détails. Olivier Marleix, Député des Républicains, a exprimé des préoccupations concernant la transparence et l’efficacité de certains projets financés par l’AFD. Éric Coquerel, Député de La France Insoumise, a critiqué l’AFD pour son manque de transparence et a demandé une meilleure gestion des fonds publics. Nathalie Goulet, Sénatrice de l’Union Centriste, a également soulevé des questions sur l’efficacité de l’aide publique au développement et a demandé plus de transparence dans l’utilisation des fonds.

Ainsi, bien qu’utile,  l’aide au développement peut être remise en question au regard de son efficacité globale sur les principaux destinataires, puisqu’elle n’a pas conduit sur le long terme à une croissance économique durable, ni à une réduction significative de la pauvreté à l’échelle des pays bénéficiaires, quelles que soient le montant des sommes investies.

Humaniterre

Par @Roselyne Kandel