Doropo, Côte d’Ivoire
Mercredi 12 novembre 2025
Par Hervé BAR
Dans le nord-est de la Côte d’Ivoire, l’orpaillage clandestin est l’une des principales activités pour une jeunesse qui manque de perspectives d’avenir, au point d’être aujourd’hui la plus sérieuse menace sur l’immense parc national de la Comoé, où beaucoup de jeunes vont creuser à leurs risques et périls.
L’or, valeur refuge qui a battu des records ces derniers mois sur les marchés mondiaux, est un marché lucratif qui alimente toutes sortes de trafics, y compris pour les jihadistes du Sahel voisin.
“A part l’or, pour les jeunes il n’y a rien ici. Juste des fonctionnaires, et le secteur informel”, constate, accablé, Hermann Dah Sié, journaliste à Bouna, la capitale du Bounkani, région pauvre et frontalière troublée du Burkina Faso et du Ghana.
“La majorité des jeunes ici sont des orpailleurs clandestins. Sinon, ils sont au chômage et, de plus en plus, ils se transforment la nuit en voleurs”, déplore Angeline Som, 50 ans, présidente d’une ONG locale à Doropo. Car “ici, tout le monde fait l’or”.
Au point de réclamer publiquement, comme ces notables de la chefferie Koulango (l’une des ethnies de la région) la “légalisation du secteur ou une tolérance, comme c’est le cas depuis longtemps au Burkina” voisin, selon eux.
– La faute aux rebelles –
L’or dans le Bounkani, a démarré avec le début de la crise politico-militaire en 2002, quand la rébellion ivoirienne des Forces Nouvelles (FN) a pris le contrôle de la région, raconte Emmanuel (un nom d’emprunt), un repenti du business, qui fut un moment un maillon essentiel de l’orpaillage clandestin dans la capitale régionale, Bouna.
“Avant, personne n’en parlait. On ne connaissait pas. C’était les Burkinabè qui en faisaient juste ici ou là”, explique-t-il.
L’orpaillage s’est alors concentré dans le parc de la Comoé, en théorie protégé mais dés lors ouvert aux quatre vents et livré à la voracité des braconniers notamment.
“Les orpailleurs se mettaient avec la machine (un détecteur de métaux, ndlr) derrière les braconniers, ils entraient ensemble dans le parc pendant des jours, voire des semaines”, détaille Emmanuel.
La mise en place d’une administration et de l’Etat à Bouna en 2011, “a changé la donne”.
La découverte récente d’un gisement aurifère, estimé à plus de 100 tonnes, par l’entreprise Resolute Mining, promet par ailleurs des perspectives économiques considérables pour le Bounkani. Ce gisement, dont les travaux débuteront au premier trimestre 2026, devrait générer 2.000 emplois directs et de nombreuses retombées indirectes, promettent ses promoteurs.

– “Disparus à jamais” –
Aujourd’hui le parc est bien surveillé, confirment toutes les sources sur place, et l’orpaillage artisanal est officiellement interdit.
Les patrouilles de l’Office ivoirien des parcs et réserves (OIPR) traquent les contrevenants qui sont ramenés à Bouna et encourent jusqu’à deux ans de prison et/ou une très forte amende.
Et ce n’est pas le seul risque. “Si tu te perds dans le parc, tu es mort… Sans eau, sans nourriture, avec les animaux, tu disparais à jamais… Beaucoup se sont retrouvés piégés dans des ravins, tués par les serpents, les buffles… Si tu te blesses, personne ne va te ramener”, poursuit Emmanuel.
Malgré son interdiction, l’orpaillage continue, en profondeur, dans le parc, et s’il faut deux à trois jours de marche aller comme retour, le jeu en vaut la chandelle, selon Emmanuel. La corruption existe, braconniers et orpailleurs sont parfois informés des zones de patrouille des gardes, affirme-t-il.
“Des jeunes reviennent de l’intérieur du parc avec assez d’argent pour acheter des motos, et même construire leur maison”, assure-t-il.
Ils ont vite appris à manipuler les détecteurs de métaux, souvent fournis par des orpailleurs du Burkina voisin: “quand le détecteur sonne, tu creuses. Jusqu’à un mètre dans le sol. Parfois tu tombes sur du fer, des choses sans intérêt. Si tu as la chance, c’est de l’or! Tu peux gagner beaucoup!”, explique-t-il.
“Toutes les ethnies, toutes les communautés sont dans le business”, explique encore Emmanuel. “Les commanditaires fournissent la logistique, la nourriture, le détecteur. Eux gagnent beaucoup d’argent, jusqu’à 70% de l’or. Les 30% restant sont pour le creuseur”.
Ces commanditaires sont connus à Bouna, ville cosmopolite, carrefour entre Burkina et Ghana, et où “beaucoup de Ouest-Africains nous encouragent aussi à ce business”.
“Il faut le dire aux jeunes, l’orpaillage il y a trop de risques. Ca ne vaut pas le coup”, conclut-il.
Humaniterre avec AFP






