Tengrรฉla,ย Cรดte d’Ivoire
Mardi 11 novembre 2025
“On ne sait jamais si on rentrera vivant”, souffle Baba, le regard perdu dans le vide. Dans le nord ivoirien, il s’apprรชte comme des dizaines de collรจgues ร reprendre la route vers le Mali voisin, ร bord de leurs camions-citernes chargรฉs de carburant et d’angoisse.
Un acronyme fait trembler tous les chauffeurs routiers: le JNIM, du nom de ce groupe jihadiste affiliรฉ ร Al-Qaida qui a dรฉcrรฉtรฉ il y a deux mois que plus aucun camion-citerne ne pรฉnรจtrerait au Mali depuis un Etat voisin.
Depuis, les camions incendiรฉs venant d’Abidjan ou de Dakar se comptent par centaines, et font partie de la stratรฉgie de jihad รฉconomique du JNIM qui cherche notamment ร รฉtouffer Bamako et le gouvernement malien.
“En asphyxiant รฉconomiquement le pays, le JNIM cherche ร gagner le soutien populaire en accusant le gouvernement militaire d’incapacitรฉ”, note Bakary Sambe du groupe de rรฉflexion Timbuktu Institute, basรฉ au Sรฉnรฉgal, qui รฉvoque “un problรจme structurel d’insรฉcuritรฉ”.
Sur plus de 300 kilomรจtres dans le nord de la Cรดte d’Ivoire, de Niakaramandougou ร Tengrรฉla, derniรจre ville avant le Mali, on a rencontrรฉ des dizaines de chauffeurs qui expliquent continuer de rouler, mus par “la nรฉcessitรฉ” financiรจre, “le patriotisme”, et une bonne dose de courage.

Cette vue aรฉrienne montre des camions maliens attendant de passer la frontiรจre entre la Cรดte d’Ivoire et le Mali dans le village de Nigoun, prรจs de Tengrela, le 31 octobre 2025. Dans le nord de la Cรดte d’Ivoire, les chauffeurs routiers se prรฉparent ร retourner au Mali voisin, ร bord de leurs camions-citernes chargรฉs de carburant et d’inquiรฉtude. Un acronyme sรจme la terreur dans le cลur de tous les chauffeurs routiers : JNIM, le nom du groupe djihadiste affiliรฉ ร Al-Qaรฏda qui a dรฉcrรฉtรฉ il y a deux mois qu’aucun camion-citerne ne serait plus autorisรฉ ร entrer au Mali depuis un pays voisin.

– Mourir “pour la bonne cause” –
“On le fait parce quโon aime notre pays. On ne veut pas que les Maliens manquent de carburant”, confie Baba (prรฉnom modifiรฉ), 30 ans, maillot de Manchester United sur les รฉpaules.
“Si on meurt, c’est pour la bonne cause”, dit d’un air grave Mamadou Diallo, 55 ans, s’offrant un moment de rรฉpit sur un parking ร Niakaramandougou, ร cinq heures de la frontiรจre.
Les familles, elles, redoutent chaque dรฉpart. “Mais rester sans travail, cโest impossible”, soupire de son cรดtรฉ Yoro, un autre routier.
Un peu plus au nord, ร Kolia, Sidiki Dembรฉlรฉ dรฉjeune avec un collรจgue, camions alignรฉs au bord de la route, moteurs qui ronronnent doucement, prรชts ร repartir.
De l’autre cรดtรฉ du goudron, pour allรฉger l’ambiance, des jeunes font vibrer “Y que fue”, tube latino rendu cรฉlรจbre par la star mondiale du football, Lamine Yamal.
“Si les camions sโarrรชtent, c’est tout un pays qui s’รฉteint”, explique-t-il, entre deux bouchรฉes de riz nappรฉ de sauce arachide.
En 2023, plus de la moitiรฉ des produits pรฉtroliers exportรฉs par la Cรดte dโIvoire รฉtaient destinรฉs au Mali.
Les camions maliens se chargent ร Yamoussoukro ou Abidjan avant dโemprunter les deux corridors pour leur pays : celui de Tengrรฉla, ou celui de Pogo, oรน des escortes militaires prennent le relais cรดtรฉ malien, jusqu’ร Bamako. Une escorte peut regrouper jusqu’ร plusieurs centaines de citernes.
Mais mรชme sous escorte, les convois sont frรฉquemment pris pour cibles. Les zones les plus dangereuses dans ce sud malien: les axes Kadiana-Kolondiรฉba et Loulouni-Sikasso.
“Il y a deux mois, jโai vu des jihadistes brรปler deux camions. Les chauffeurs sont morts. Jโรฉtais juste derriรจre. Par miracle, ils mโont laissรฉ passer”, raconte Moussa, 38 ans, polo rouge tachรฉ dโhuile.
Bablen Sacko a aussi รฉchappรฉ de peu ร une embuscade.
“Des apprentis sont morts, juste derriรจre nous”, dit-il. Puis, dโune voix ferme: “Chacun a un rรดle dans la construction du pays. Le nรดtre, cโest dโapprovisionner le Mali en carburant. On le fait par patriotisme.”
– Prime de risque –


Konate Broulaye, gestionnaire de camions, pose ร cรดtรฉ de camions garรฉs ร Boundiali, oรน les chauffeurs routiers ivoiriens refusent de se rendre au Mali en raison des attaques djihadistes, le 30 octobre 2025.camions stationnรฉs ร Boundiali, oรน les chauffeurs routiers ivoiriens refusent de se rendre au Mali en raison des attaques djihadistes, le 30 octobre 2025. Dans le nord de la Cรดte d’Ivoire, les chauffeurs routiers se prรฉparent ร repartir vers le Mali voisin, ร bord de leurs camions-citernes chargรฉs de carburant et d’inquiรฉtude. Un acronyme sรจme la terreur dans le cลur de tous les chauffeurs routiers : JNIM, le nom du groupe djihadiste affiliรฉ ร Al-Qaรฏda qui a dรฉcrรฉtรฉ il y a deux mois qu’aucun camion-citerne ne serait plus autorisรฉ ร entrer au Mali depuis un pays voisin.
Mais derriรจre la fiertรฉ, c’est lโamertume. Les chauffeurs dรฉnoncent des conditions de travail indignes. “Pas de contrat, pas dโassurance, pas de retraite. Si tu meurs, cโest fini. Aprรจs ton enterrement, on tโoublie”, dรฉplore Bablen Sacko.
Avec un salaire mensuel dโร peine 100.000 francs CFA (152 euros) et un bonus de 50.000 (76 euros) par voyage, Yoro rรฉclame une prime de risque, “parce quโon ne sait jamais si on rentrera vivant”.
Face ร cette insรฉcuritรฉ croissante, certains transporteurs ivoiriens ont renoncรฉ ร la route du Mali.
ร Boundiali, Broulaye Konatรฉ, gestionnaire dโun parc de 45 camions, a prรฉfรฉrรฉ immobiliser sa flotte.
“Jโai demandรฉ ร un chauffeur de livrer de lโengrais au Mali. Il a refusรฉ. Le camion est toujours garรฉ ร Abidjan”, dit-il.
Pour Souleymane Traorรฉ, chauffeur ivoirien depuis sept ans sur lโaxe malien, chaque trajet est dรฉsormais une รฉpreuve. “Tu prends la route, la peur au ventre”, confie-t-il.
Il se souvient avoir rรฉcemment comptรฉ alors qu’il rentrait en Cรดte d’Ivoire, “cinquante-deux citernes calcinรฉes. Et six autres brรปlรฉes plus loin”, entre Kadiana et Tengrรฉla.
Le Premier ministre malien, Abdoulaye Maรฏga a rรฉcemment qualifiรฉ le carburant que le Mali reรงoit ces derniers temps de “sang humain”, en reconnaissance aux militaires et aux chauffeurs tuรฉs sur les routes.
“La situation devrait rester la mรชme, dans les prochains jours, concernant les ravitaillements de carburant. Sur la scรจne politique, il y a plus d’incertitude: je ne pense pas que le JNIM ait la capacitรฉ ou l’intention de prendre Bamako, mais la menace qu’ils font planer sur la ville est sans prรฉcรฉdent”, conclut Charlie Werb, analyste du cabinet de conseil Aldebaran Threat Consultants (ATC).
Humaniterre avec AFP






