Keta,ย Ghana
Mardi 10 juin 2025
Par Winifred Lartey
Photos:ย Nipah Dennis.
De grandes vagues salรฉes viennent se briser chaque jour contre les ruines du Fort Prinzenstein, sur la cรดte ghanรฉenne, lร oรน autrefois des murs รฉpais retenaient des milliers dโAfricains rรฉduits en esclavage, avant leur pรฉriple ร travers lโAtlantique.
Depuis des siรจcles, ce littoral porte le poids du commerce des esclaves africains vers le continent amรฉricain. Mais aujourdโhui, il succombe ร la nature et ร lโabandon, ses 550 km rongรฉs par la montรฉe du niveau de la mer et les activitรฉs humaines incontrรดlรฉes.
Des villages disparaissent, emportant avec eux un patrimoine vieux de plusieurs siรจcles, et des activitรฉs cรดtiรจres essentielles ร l’รฉconomie ghanรฉenne (ports, pรชche, pรฉtrole et gaz) sont menacรฉes.
ร quelques mรจtres du fort, Ernestina Gavor nettoie un verre derriรจre un bar.
“J’espรจre que cela survivra encore quelques annรฉes”, dรฉclare-t-elle , dans ce restaurant dont les recettes repose essentiellement sur l’afflux de touristes.
Le Fort Prinzenstein, un comptoir colonial fortifiรฉ construit par les Danois ร la fin du 18e siรจcle et aujourdโhui inscrit au patrimoine mondial de lโUNESCO, fait partie des sites les plus menacรฉs sur la cรดte ghanรฉenne.
James Akorli, son gardien depuis 24 ans, a vu le golfe de Guinรฉe ronger sa structure et ses souvenirs.
Autrefois, la cรดte รฉtait ร environ six kilomรจtres du fort, raconte-t-il.
Le village dans lequel il est nรฉ, et que sa famille a dรป quitter en 1984, a รฉgalement รฉtรฉ englouti.
Aujourdโhui, seulement 10% du fort originel subsiste.
Les cachots qui abritaient des femmes esclaves sont encore visibles, mais ceux des hommes ont disparu sous lโeffet de lโรฉrosion cรดtiรจre.
“Ce fort avait une grande importance”, raconte M. Akorli. “Maintenant, nous perdons tout, notre histoire, nos maisons et nos moyens de subsistance”.
Mur de dรฉfense-
Les chรขteaux et forts du Ghana, en particulier ceux de Cape Coast et dโElmina, attirent chaque annรฉe des milliers de visiteurs, principalement des Afro-amรฉricains cherchant ร renouer avec leur hรฉritage ancestral.
Selon Chris Gordon, professeur et spรฉcialiste de lโenvironnement ร lโUniversitรฉ du Ghana, le prix des travaux nรฉcessaires pour protรฉger les vestiges de lโesclavage et les habitations dรฉpasse largement les moyens actuels du pays.
“Il vous faudrait les types de protections cรดtiรจres quโils ont aux Pays-Bas”, explique-t-il.
Samuel Yevu, 45 ans, fait partie des dรฉplacรฉes rรฉcents,ย aprรจs que des vagues dรฉferlantes ont dรฉvastรฉ son village de Fuvemeh en mars dernier.
“Avant, nous avions des cocotiers, des filets de pรชche, tout. Maintenant, tout est parti”, raconte Yevu, dont la famille dort depuis dans une salle de classe dโรฉcole.
En 2000, le Ghana a lancรฉ un projet de mur de dรฉfense contre la mer de 100 millions de dollars pour protรฉger des communautรฉs comme Keta, oรน se trouve le Fort Prinzenstein. Si ce projet a sauvรฉ la ville, il a dรฉplacรฉ lโรฉrosion vers lโest, dรฉvastant des villages comme Agavedzi et Aflao.
Des interventions ร court terme, comme l’รฉdification de digues et de murs, peuvent aggraver lโรฉrosion en redirigeant lโรฉnergie de lโocรฉan vers d’autres zones, avertissent les experts.
Selon une รฉtude de lโUniversitรฉ du Ghana, le pays pourrait perdre des monuments clรฉs comme le chรขteau de Christiansborg et le mausolรฉe de Kwame Nkrumah dans les dรฉcennies ร venir si rien n’est fait.
La disparition progressive du Fort Prinzenstein est particuliรจrement marquante en raison de son rรดle unique dans la rรฉgion dans la traite transatlantique. Les esclaves en provenance de plusieurs zones dโAfrique de lโOuest รฉtaient marquรฉs, triรฉs et expรฉdiรฉs depuis ce comptoir, mรชme aprรจs que la Grande-Bretagne a interdit la traite des esclaves en 1807.
“Cโest le seul fort de la rรฉgion du Volta. Ni le Togo, ni le Bรฉnin, ni le Nigeria nโen ont”, souligne son gardien James Akorli.
–ย ย “Comme perdre un cimetiรจre” –
Au fort de Cape Coast, un guide touristique redoute de voir ce site subir le mรชme sort.
“Si ce fort disparaรฎt, ce sera comme perdre un cimetiรจre de millions de personnes. Ce nโest pas juste lโhistoire du Ghana, cโest lโhistoire du monde”, ย explique-t-il, en souhaitant garder l’anonymat.
Pour Edmond Moukala, reprรฉsentant de l’UNESCO au Ghana, le problรจme majeur nโest pas lโรฉrosion, mais la nรฉgligence.
“S’il y avait eu un entretien rรฉgulier, nous ne serions pas tรฉmoins de cette dรฉtรฉrioration sรฉvรจre. Ces bรขtiments รฉtaient censรฉs durer des siรจcles. Mais la nรฉgligence, le dรฉveloppement urbain et le vandalisme ont dรฉtruit beaucoup dโentre eux”, estime M. Moukala.
A Keta, James Akorli lance un appel pressant aux autoritรฉs: “Elles doivent intervenir de toute urgence, restaurer ce fort pour stimuler les visites, afin que nos frรจres de la diaspora ne perdent pas leurs racines”.
Humaniterre avec AFP