Lundi 02 juin 2025
Rutana, Burundi
Alors que les hommes armรฉs “tiraient, s’entretuaient”, commenรงaient ร “violer des femmes”, le jeune homme de 25 ans dit avoir rejoint le Burundi en fรฉvrier pour sauver sa vie.
Aprรจs quelques mois dans le camp surpeuplรฉ de Musenyi, oรน il a constatรฉ la diminution continuelle des rations alimentaires allouรฉes aux rรฉfugiรฉs, il patrouille dรฉsormais avec d’autres jeunes pour protรฉger ses compatriotes des vols du peu de nourriture qu’il leur reste.
“Quand je suis arrivรฉ ici, on me donnait 3,5 kilos de riz par mois. Maintenant c’est un kilo. Les 3 kilos de petits pois sont passรฉs ร 1,8 kilos. Ce que je reรงois en sauce tomate dure un jour, puis c’est fini”, liste tristement Claude.
Son prรฉnom, comme celui des autres rรฉfugiรฉs interrogรฉs, a รฉtรฉ changรฉ pour des raisons de sรฉcuritรฉ.

(Photo by Luis TATO / AFP)

– “Terreur” –
Dans le camp, les plus dรฉsespรฉrรฉs tailladent dรฉsormais les tentes de leurs voisins pour leur dรฉrober un peu de nourriture, raconte Claude.
Des groupes “sรจment la terreur”, des mรฉnages se dรฉchirent. “La rรฉduction de l’assistance va engendrer beaucoup de dรฉlits, beaucoup de choses”, regrette l’ancien videur.
Plus loin, un homme รฉmรฉchรฉ, un doigt coupรฉ, explose de rage aprรจs avoir ratรฉ une distribution et demande s’il doit, pour pouvoir manger, “retourner ร Goma”, la capitale de la province congolaise du Nord-Kivu, dรฉsormais sous contrรดle du M23.ย Des enfants et des adolescents disent avoir faim.
A Musenyi, la rรฉduction des rations alimentaires est un “dรฉfi majeur” et les vols qu’elle engendre pourraient perturber la sรฉcuritรฉ, s’effraie Oscar Niyibizi, l’administrateur adjoint du camp, qui dit encourager les rรฉfugiรฉs ร “s’autonomiser” en “pratiquant l’agriculture” vivriรจre sur des terrains alentour.
Ce responsable dit croire encore ร une “vie meilleure” pour les rรฉfugiรฉs… ร condition d’obtenir plus d’aide pour les sortir de l’urgence.
Une gageure alors que le gouvernement amรฉricain a dรฉcidรฉ de couper 80% de l’aide humanitaire amรฉricaine, quand les Etats-Unis ร eux seuls finanรงaient plus de 40% de l’aide mondiale. Aucun autre pays n’ayant repris le flambeau, ONG et programmes onusiens ont dรป fermer de nombreux programmes, ou les diminuer substantiellement, faute d’argent.
Les coupes sont arrivรฉes ร un “trรจs mauvais moment”, alors que les combats s’intensifiaient en RDC, souligne Geoffrey Kirenga, chef de missionย de l’ONG Save the Children au Burundi.
Plus de 71.000 Congolais sont arrivรฉs depuis janvier au Burundi. Une charge difficile ร assumer pourย les autoritรฉs d’un des pays les plus pauvres au monde, oรน vivaient dรฉjร des dizaines de milliers de ressortissants de RDC ayant fui de prรฉcรฉdentes violences. Le camp de Musenyi, รฉtabli en 2024 pour 10.000 personnes, en compte dรฉsormais prรจs du double.
– “Dรฉcรจs dรปs ร la faim” –
Faute d’aide, de nombreux programmes ont รฉtรฉ affectรฉs, notamment ceux dรฉdiรฉs aux victimes de violences sexuelles, quand de nombreuses rรฉfugiรฉes congolaises en ont justement รฉtรฉ victimes, regrette-t-il.
Mais Geoffrey Kirenga craint surtout des “dรฉcรจs dus ร la faim” ร venir.
Caroline, 26 ans et mรจre de 4 enfants, rรฉclame “des aides”, faute de quoi de nombreuses femmes pourraient selon elle se prostituer pour nourrir leurs familles.
Le Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU a indiquรฉ distribuer depuis mars des rations rรฉduites ร la moitiรฉ du minimum calorique vital. Sans renouvellement des financements amรฉricains, son assistance s’arrรชtera d’ici novembre, a-t-il averti.
Dans une tente communautaire oรน s’entassent des dizaines de personnes, Judith raconte sa fuite d’Uvira avec ses huit enfants mais sans son mari il y a quelques semaines, aprรจs des tirs qui ont tuรฉ et blessรฉ des voisins. Et les dรฉfis auxquels elle est confrontรฉe depuis lors.
“Nous dormons tous ici”, dรฉclare cette trentenaire, en dรฉsignant un carrรฉ de quelques mรจtres carrรฉs.
Dissimulรฉs derriรจre un rideau: deux sacs de riz, deux sacs de haricots et deux bidons d’huile de cuisson. Mais “le peu que nous recevons ne tient pas jusqu’ร la prochaine distribution”, soupire-t-elle.
Selon l’ONU, des centaines de Congolais effectuent des allers-retours entre leur pays en guerre et le Burundi du fait des coupes humanitaires. Qu’importe le risque.
Judith, elle, ne retournera pas en RDC. “Je prรฉfรจre vivre dans un pays รฉtranger (…) oรน je nโentend pas de coups de feu”, lance-t-elle.
Humaniterre avec AFP