Samedi 12ย avril 2025
Gabon
Le village de pรชcheurs d’Otangani, ร moins d’une demi heure de pirogue de la capitale gabonaise Libreville, n’a ni eau courante ni รฉlectricitรฉ, mais espรจre attirer des touristes, encore trรจs rares sur la pรฉninsule de la Pointe-Denis malgrรฉ ses plages de sable blanc et la vie sauvage de ses parcs.
En ce dimanche matin, le bar-restaurant du vieux Kossi, ร deux pas d’Otangani, est complรจtement dรฉsert.
Les Gabonais aisรฉs et les expatriรฉs de Libreville prรฉfรจrent les rares hรดtels haut de gamme de la pรฉninsule quand ils veulent s’offrir des journรฉes de farniente, des raids en quad, des tours de jet-ski ou des safaris 4×4 pour voir des singes, des buffles ou des รฉlรฉphants.
“Le parc ne nous amรจne pas de touristes et on veut dรฉvelopper le tourisme communautaire”, explique le guide Gรฉrard Adande Avili, 47 ans, qui a lui-mรชme amรฉnagรฉ des chambres d’hรดte dans sa maison de bois au bord de la mangrove. Sa cible: “les Gabonais lambda qui n’ont pas de gros moyens mais veulent s’รฉvader de la capitale, prendre du bon temps, retourner aux sources”.
Pour l’instant, rares sont les visiteurs attirรฉs par la “randonnรฉe royale” que propose ce descendant du roi Rapontchombo, sur les tombes de ses ancรชtres et dans un petit musรฉe en forme de case ronde construit grรขce ร des aides de feu le prรฉsident libyen Mouammar Kadhafi, ร l’รฉpoque oรน il se rรชvait en “roi d’Afrique”. On y dรฉcouvre l’histoire du chef mpongwรฉ qui permit aux colons franรงais de s’installer au 18รจme siรจcle.
Pour atteindre les lieux depuis Libreville, il faut partir d’un embarcadรจre aux allures de chantier naval, traverser en pirogue l’estuaire du Komo puis la riviรจre Denis, puis marcher dans la forรชt dense, soit une heure et quart de voyage au total.

– “Peu accessible” –
Les touristes รฉtrangers sont rares ici et ailleurs, mรชme si ce pays d’Afrique centrale se prรฉsente comme “le dernier eden” de la planรจte, en vantant son territoire couvert ร prรจs de 90% de forรชts abritant une biodiversitรฉ inouรฏe.
“Que ce soit les dirigeants, que ce soit la population, nous n’avons pas la culture touristique parce que nous avons mis l’accent sur le pรฉtrole. Et nous avons oubliรฉ le potentiel touristique de notre pays alors que, je le dis franchement, le Gabon peut vivre de son tourisme”, explique l’รฉnergique ministre du Tourisme, Pascal Ogowet Siffon.
Il espรจre ainsi doubler le nombre de touristes รฉtrangers dans le pays, actuellement de 350.000 par an.
“Le principal frein, c’est le prix du billet d’avion, trรจs cher (donc) peu accessible, et les formalitรฉs laborieuses de visa”, prรฉvient Amelia Da Costa Soares, 40 ans, co-propriรฉtaire du River Lodge, un hรดtel-restaurant haut de gamme de la Pointe, qui malgrรฉ son cadre idyllique, n’ouvre que le week-end ร part pour des sรฉminaires.
“Les rรฉseaux routiers posent beaucoup de problรจme, il y a plein d’endroits magnifiques oรน on ne peut pas aller parce quโil nโy a pas dโaccรจs, mรชme en 4×4. C’est un problรจme qui nous dรฉrange tous, d’autant que la destination Gabon est vraiment chรจre”, ajoute Guichely Ngoma, un jeune opรฉrateur de Libreville qui se dรฉmรจne pour proposer voyages organisรฉs et circuits sur mesure dans les profondeurs du pays.
“Quand un touriste veut aller quelque part, il met l’argent qu’il faut: ceux qui veulent satisfaire leur curiositรฉ (y) arrivent, quelles que soient les conditions”, nuance le ministre du Tourisme, en racontant comment des visiteurs venus observer des gorilles dans le cรฉlรจbre parc de Loango ont prรฉfรฉrรฉ traverser une riviรจre ร la nage plutรดt que renoncer au but final de leurย excursion.
– Vivre en harmonie –
Les richissimes amateurs de pรชche sportive, eux, prennent l’hรฉlicoptรจre de Libreville pour accรฉder au lodge de Sette Cama Adventure, un spot mondialement rรฉputรฉ entre lagune et ocรฉan au sud de Loango, avec des sรฉjours “exclusifs” ร environ 10.000 euros la semaine, billet d’avion pour le Gabon non compris.
“La demande est supรฉrieure ร l’offre”, se rรฉjouit le ministre du Tourisme qui compte sur le “potentiel รฉnorme du Gabon, sa forรชt vierge, ses 950 km de cรดtes” pour dรฉvelopper un “tourisme sรฉlectif” tout en permettant aux Gabonais de dรฉcouvrir leur pays ร prix abordables.
Le guide Gรฉrard Adande mise lui sur l’รฉcotourisme pour faire vivre les villages de la Pointe, que les jeunes dรฉsertent pour la capitale, laissant la forรชt engloutir les maisons abandonnรฉes et les plantations dรฉvastรฉes par les รฉlรฉphants.
La difficultรฉ selon Juste Loubangoye Ozavino, son neveu forestier, qui a aussi 42 ans, est de rรฉussir ร la fois “ร s’ouvrir ร d’autres communautรฉs et ร prรฉserver le cรดtรฉ mystique” de la pรฉninsule. “Nous sommes un peu les gardiens, on a les clefs” pour y vivre en harmonie, dit-il: “C’est un systรจme aussi bien visible qu’invisible, et il faut respecter certaines conditions” pour ne pas irriter les gรฉnies des eaux et de la forรชt.
Humaniterre avec AFP