Kasungu,ย Malawi
Mercredi 04 mai 2025
Par Jack McBramsย
“Ils sont revenus cette nuit.” Les lueurs de l’aube sur le Malawi rรฉvรจlent un champs de maรฏs aplati. Des tiges brisรฉes gisent entre des empreintes de la taille d’assiettes, celles d’รฉlรฉphants qui ont dรฉjร tuรฉ douze personnes depuis une opรฉration de repeuplement.
Rodwell Chalilima contemple les dรฉgรขts dans ses cultures. “On a comptรฉ quasiment 200 รฉlรฉphants. On n’a rien pu faire d’autre que les regarder depuis nos maisons. Ils sont impossibles ร arrรชter. On est impuissants”, se lamente ย le quadragรฉnaire, la voix blanche.
La scรจne est frรฉquente ร Chisinga depuis que 263 รฉlรฉphants ont รฉtรฉ transfรฉrรฉs il y a prรจs de trois ans dans le parc national de Kasungu, accolรฉ au village, dans cette zone frontaliรจre avec la Zambie.
Prรฉsentรฉe comme un succรจs par les dรฉfenseurs de l’environnement, l’opรฉration fut aussi coรปteuse –plusieurs millions de dollars– que spectaculaire. Les pachydermes, acheminรฉs sous tranquillisant depuis un autre parc surpeuplรฉ du pays, finirent leur pรฉriple les quatre fers en l’air, dรฉposรฉs par une grue.
Le tableau brossรฉ par les habitants est bien diffรฉrent. Un groupe d’entre eux a intentรฉ une action en justice contre le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW).
Les plaignants rรฉclament des millions de dollars de dรฉdommagement ร cette ONG basรฉe au Royaume-Uni, qui a aidรฉ le gouvernement ร dรฉplacer les animaux.
Au moins douze personnes ont perdu la vie, affirme le cabinet d’avocats britannique Leigh Day, qui reprรฉsente dix plaignants en Zambie et au Malawi dans une affaire en cours de prรฉparation devant les tribunaux du Royaume-Uni.
Les locaux reprochent l’absence de clรดtures adรฉquates autour du parc. Ce qui laisse les รฉlรฉphants dรฉborder vers les aires d’habitations oรน ils dรฉtruisent cultures et pรฉnรจtrent dans les bรขtiments ร la recherche de nourriture.
Dans le village voisin de Chifwamba, Kannock Phiri, 35 ans, pleure la mort de sa femme, piรฉtinรฉe par un troupeau en 2023 alors qu’elle cueillait des lรฉgumes. Le plus jeune de leur cinq enfants a survรฉcu de justesse.
“Les responsables du parc ont apportรฉ un cercueil et de la nourriture pour les obsรจques”, raconte le pรจre. “Puis ils ont disparu. Pas de soutien. Pas davantage de compensation.
– Le “fantasme” de la cohabitation –
L’opรฉration de repeuplement รฉtait “basรฉe sur l’idรฉe qu’รฉlรฉphants et humains pouvaient cohabiter en harmonie”, critique Mike Labuschagne, travaillant pour une fondation soutenant les familles touchรฉes.
“Ce n’est pas vrai. C’est un fantasme conรงu pour les donateurs amรฉricains, britanniques et europรฉens qui ne connaissent les รฉlรฉphants que par le cinรฉma, le cirque ou le zoo”, ajoute cet ancien employรฉ de l’IFAW, jusqu’en dรฉbut 2022.
Dans leur action en justice, les plaignants demanderont, selon lui, des millions de dollars de compensation pour les milliers de personnes affectรฉes, tuรฉes ou blessรฉs.
Le cabinet Leigh Day a prรฉcisรฉ que ses clients souhaitaient aussi contraindre l’IFAW ร prendre des mesures comme l’installation de clรดtures adรฉquates.
L’affaire pourrait toutefois รชtre rรฉsolue ร l’amiable, a indiquรฉ l’avocate Rachel Bonner, ses clients รฉtant “dรฉsireux d’รฉviter une longue procรฉdure judiciaire” face ร cette situation “urgente”.
– “Pas au prix de nos vies” –
L’IFAW a reconnu il y a prรจs d’un an, au moment oรน l’affaire a surgi dans les mรฉdias, que l’interaction รฉlรฉphants-habitants depuis l’opรฉration avaient entraรฎnรฉ “la mort de plusieurs individus et causรฉ des traumatismes”.
Toutefois, l’ONG “ne gรจre aucun parc national et ne dรฉcide pas des mesures ร prendre”, insistait-elle.
Cรดtรฉ gouvernement, 84% d’une clรดture de 135 kilomรจtres visant ร contenir les pachydermes est achevรฉ, assure ย Joseph Nkosi, porte-parole du ministรจre de la Faune et de la Flore.
Une assistance au cas par cas a รฉgalement รฉtรฉ proposรฉe mais il assure que le gouvernement n’a pas connaissance d’une action juridique en cours.
Le village de Mbuluunde, l’un de ceux en premiรจre ligne face aux รฉlรฉphants, “a perdu des vies, des foyers, des vivres”, dรฉcrit son chef Kaston Nyirenda.
“Ma propre tante a รฉtรฉ tuรฉe. Mes enfants ont failli mourir quand un รฉlรฉphant a provoquรฉ l’effondrement de notre maison en pleine nuit”, raconte cet homme de 66 ans. “On est pour la conservation. Mais pas au prix de nos vies.”
Humaniterre avec AFP