Cรดte d’Ivoire
Samedi 01 novembre 2025
Par Hervรฉ Bar
Au cours d’une rare mission dans cet extrรชme nord-est ivoirien, voisin du Burkina Faso en guerre, une รฉquipe a pu sillonner en profondeur cette immense savane arborรฉe, quasi-vierge, enchanteresse, grande comme un tiers de la Belgique.
Des gardes forestiers prรฉparent un drone pour patrouiller dans le parc national de la Cรดte d’Ivoire, au nord-est du pays, le 10 octobre 2025. Abandonnรฉ et ravagรฉ pendant la crise politique et militaire qui a plongรฉ la Cรดte d’Ivoire dans le chaos de 2002 ร 2011, le parc national de la Cรดte d’Ivoire reprend lentement vie dans cette rรฉgion dรฉsormais sous le contrรดle des autoritรฉs, mais reste menacรฉ par l’exploitation humaine. Avec prรจs de 1,14 million d’hectares (11 500 kmยฒ), le parc national de la Comoรฉ, qui tire son nom du fleuve qui le traverse sur 230 km d’ouest en est, est l’un des plus grands parcs d’Afrique de l’Ouest. Grรขce ร sa biodiversitรฉ exceptionnelle, cette rรฉserve, crรฉรฉe en 1926 et classรฉe parc national en 1968, rivalise depuis longtemps avec les plus beaux parcs du continent africain. (Photo : Issouf SANOGO / AFP)
– Vautours et traces de vรฉlos –
Elle y a croisรฉ, gambadant sous un soleil de plomb, troupeaux d’antilopes curieuses, clans de babouins aux jappements canins et familles de phacochรจres le groin fouinant les pistes de terre.
“Nous voyons beaucoup d’animaux, le parc va mieux”, commente le lieutenant Daouda Bamba, ร la tรชte d’une patrouille de dix gardes de l’OIPR, corps para-militaire dont la mission est de “traquer et rรฉprimer tous ceux qui agressent le parc”.
“Depuis que nous avons accru nos efforts en 2016, les animaux sont en paix. Ils ne fuient pas systรฉmatiquement, signe qu’ils ne sont plus pourchassรฉs”, observe cet officier des Eaux et forรชts, kalachnikov au cรดtรฉ.
Chacun sous sa tente, les hommes campent dans les hautes herbes. Les uniformes camouflรฉs sentent le feu de camp, le petit-dรฉjeuner ร base de sardines se prรฉpare dans la gamelle.
Un adjudant bricole son drone, “auxiliaire trรจs prรฉcieux” pour repรฉrer toute prรฉsence humaine. Les gardes arborent matraque et bombe lacrymo ร la ceinture. “Quand on attrape des intrus, c’est souvent la bagarre”.
“La marche ร pied, c’est notre quotidien. On repรจre la fumรฉe d’un feu, une trace de vรฉlo, de moto. Ou les vols de vautours”, dรฉtaille le lieutenant Bamba.
“Trois grandes menaces pรจsent sur le parc, explique-t-il: “le braconnage, l’orpaillage clandestin et le pรขturage illรฉgal”.
S’รฉtendant sur 1,14 million d’hectares (11.500 km2), la Comoรฉ, du nom du fleuve qui le traverse sur 230km d’ouest en est, est l’un des plus grands parcs d’Afrique de l’Ouest.
Par sa biodiversitรฉ exceptionnelle, la rรฉserve, crรฉe en 1926 et instituรฉe parc national ร partir de 1968, a longtemps rivalisรฉ avec les plus beaux parcs du continent africain.
Des gardes forestiers ivoiriens patrouillent dans le parc national de la Cรดte de l’Ivory prรจs du village de Bania, au nord-est de la Cรดte d’Ivoire, le 13 octobre 2025.ย (Photo : Issouf SANOGO / AFP)
– Mammifรจres “en pagaille” –
“On a eu une รฉpoque formidable ici. La faune รฉtait magnifique”, se souvient, des trรฉmolos dans la voix, Raynald Gilon, un ancien commando Belge, garde emblรฉmatique du parc et son ange gardien pendant plus de 30 ans. “Tous les jours on voyait des animaux en pagaille”.
Elรฉphants, lions, lรฉopards, hyรจnes, hippopotames, buffles, diverses antilopes (bubales, hippotragues, cobes de Buffon), crocodiles du Nil, aigles pรชcheurs… attiraient alors de “6.000 ร 7.000 touristes ร chaque saison, la plupart des Europรฉens qui arrivaient ici par avion de toute la sous-rรฉgion”.
Dans la petite localitรฉ poussiรฉreuse de Kafolo, ร la pointe nord-ouest du parc, le “Kafolo Safari lodge”, ses tours d’entrรฉe en pierre dรฉcrรฉpies et sa piscine ร fond bleue abandonnรฉe tรฉmoigne encore de cet รขge d’or dรฉfunt.
Le site de six hectares, longtemps restรฉ dans un quasi-abandon, est maintenant occupรฉ par les employรฉs d’une entreprise de construction de routes.
La crise ivoirienne est passรฉe par-lร . A partir de 2002, le parc est en plein dans les territoires sous contrรดle des rebelles qui tentent alors de renverser le prรฉsident Laurent Gbagbo.
Les gardes doivent quitter les lieux, toute la Comoรฉ est ouverte aux quatre vents, livrรฉe aux braconniers, aux orpailleurs, aux paysans… “Ca a รฉtรฉ un massacre, un saccage total”, gronde Raynald. “Tout le monde pillait, y compris les rebelles qui prรฉtendaient le protรฉger!”.
“La Comoรฉ a failli mourir”, se navre le vieux broussard. Triste prรฉsage, le parc est inscrit dรจs 2003 par l’Unesco sur la liste du Patrimoine mondial en pรฉril.
– Insatiables “convoitises” –
La crise terminรฉe, le nouveau pouvoir du prรฉsident Alassane Ouattara tente de reprendre la situation en main. L’Etat planche sur “un vaste projet de sรฉcurisation d’urgence”, et il met les moyens: formation des agents, unitรฉs mobiles anti-braconnage, achats de nombreux รฉquipements.
“Tout cela permet de surveiller vraiment le parc, et d’y ramener la quiรฉtude pour la faune”, se fรฉlicite le commandant Henri Tra Bi Zah, l’un des responsables du parc.
Ces efforts sont couronnรฉs en 2017, quand la Comoรฉ est retirรฉe de la liste funeste de l’Unesco, une premiรจre pour un parc africain.
Aujourd’hui, les divers inventaires montrent une “hausse progressive de la faune” et une “dynamique de rรฉtablissement”, selon l’UICN.
Trois troupeaux d’รฉlรฉphants ont รฉtรฉ repรฉrรฉs, pour prรจs de 200 individus au total. Les chimpanzรฉs sont de retour. Le lion et le lycaon sont considรฉrรฉs comme รฉteints, mais les lรฉopards, les hyรจnes tachetรฉes ou encore le caracal sont courants. Les antilopes se comptent par milliers, les buffles atteindraient 3.000 tรชtes.
Il faut nรฉanmoins s’enfoncer des dizaines de km en profondeur dans la savane et affronter parfois des nuรฉes de mouches tsรฉ-tsรฉ pour espรฉrer voir l’une de ces bรชtes, des antilopes pour l’essentiel, a-t-on constatรฉ.
La Comoรฉ “est toujours l’objet de convoitises car elle regorge de ressources”, prรฉvient le commandant Tra Bi Zah qui affirme que l’orpaillage, “plus gros problรจme”, est “contenu”.
– Bientรดt des touristes? –
Les limites du parc semblent plutรดt respectรฉes par les villageois. “Vraiment on ne rentre pas. Si on te prend lร -bas tu vas directement en prison”, assure, assis devant sa masure, un paysan de Bambรฉla, ร quelques mรจtres des premiรจres savanes.
En 2024, 125 personnes, dont 105 orpailleurs et 18 braconniers, ont รฉtรฉ arrรชtรฉes dans le parc, selon l’OIPR, qui dispose au total de 160 agents sur le terrain.
Le parc est dans le voisinage direct de la trรจs troublรฉe frontiรจre avec le Burkina. Aucun jihadiste n’y a รฉtรฉ arrรชtรฉ ou mรชme rรฉcemment repรฉrรฉ, selon les sources sรฉcuritaires .
Le dรฉpartement du Bounkani est classรฉ “rouge” par les chancelleries occidentales, au grand regret de l’OIPR qui voudrait relancer le tourisme local en faisant du parc un “maillon fort du dรฉveloppement socio-รฉconomique” du nord-estย ivoirien.
A Kafolo, un nouvel hรดtel, avec accrochรฉs aux murs les trophรฉes de chasse des annรฉes de gloire, accueille les ONGs, cadres du BTP et rares รฉtrangers de passage.
“Le parc a du mal ร se remettre du dรฉsastre. (…) Le renouveau est fragile”, juge le dรฉputรฉ local, Abdoulaye Karim Diomandรฉ. “Mais il y a de bonnes perspectives”, veut-il croire.
Humaniterre avec AFP






