14 ans après la fin de cette crise qui a fait 3.000 morts dans le pays, l’Ouest ivoirien, particulièrement touché à l’époque, a retrouvé la paix, et la présidentielle du 25 octobre prochain se prépare dans le calme.

Mais des centaines de femmes survivantes de violences sexuelles ont dû s’entraider, seules, pour tenter de se réparer.

Comme d’autres victimes interrogées par l’AFP dans la région, Juliette Bié n’a pas porté plainte: “On s’est cachées parce qu’on avait honte de nous-mêmes”, confie t-elle.

Aujourd’hui, à travers le groupe de parole qu’elle a créé à Man, elle met en relation et aide des dizaines de survivantes.

“C’est une manière de guérir. Psychologiquement, on se libère”, raconte celle qui a perdu sa mère, témoin de la scène, dans la nuit qui a suivi son viol.

A Duékoué, à une centaine de kilomètres, Mariam Bakayoko, 35 ans, a également créé “un espace où en tant que femmes, on peut s’exprimer, partager nos vécus”. Chaque semaine depuis plus de 10 ans, elles échangent ainsi autour d’un thé.

“Il y a une confiance qui s’est créée”, et aussi “un lien”, dit-elle.

Le nombre de victimes de violences sexuelles est probablement sous-estimé dans cette région, instable de 2002 à 2011 lorsqu’une rébellion favorable à Alassane Ouattara, l’actuel président au pouvoir depuis 2011, affrontait les forces loyales au chef de l’État d’alors, Laurent Gbagbo (2000-2011).

La Plateforme des organisations pour la réparation des victimes des crises ivoiriennes (POREV-CI), une association, dit avoir accompagné plus de 950 femmes victimes de violences sexuelles lors des différentes crises qui ont frappé le pays entre 2002 et 2011.

Selon Serge Loua, responsable local à Man, “il y en a forcément plus”: celles qui n’ont pas pu ou voulu parler.

15 ans après la crise – et deux mois avant la présidentielle d’octobre -, l’Etat a organisé mi-août à Guiglo un forum pour célébrer et consolider “la paix” dans l’Ouest, région la plus touchée par ces exactions.

Beaucoup de femmes la cherchent encore, cette paix.

– Séquelles –

Dans le groupe de parole de Man, Anne-Marie, dont le prénom a été modifié pour préserver son anonymat comme celui d’autres femmes interrogées par l’AFP, raconte comment sa vie a basculé en 2002.

Alors qu’elle fuyait l’arrivée des rebelles, des hommes armés postés sur la route ont voulu contrôler son identité. Elle n’avait pas ses papiers. “Ils m’ont envoyée dans leur guérite. Arrivés là-bas, ils m’ont fait tomber à terre. Ils étaient au moins quatre”, dit-elle. Tour à tour, ils l’ont violée.

Neuf ans plus tard, à Man cette fois, des hommes “sont rentrés dans la maison, mais il n’y avait pas de biens à prendre, donc ils se sont couchés encore avec moi de force”: un autre viol.

Et les séquelles sont autant psychologiques que physiques.

Monique, 50 ans, enceinte de 3 mois pendant un viol en 2002 à Duékoué, a perdu l’enfant et n’a jamais pu retomber enceinte. Agnès, 52 ans, victime d’un viol la même année à Man, est depuis séropositive.

“On ne peut pas parler de paix, parce que nous, on n’a pas eu des réparations comme il se doit”, s’indigne-t-elle.

– Entraide –

Toutes les femmes rencontrées par l’AFP disent n’avoir reçu aucune aide financière ou psychologique de l’État, alors qu’elles ont signalé leur situation aux structures d’aides après la crise.

“Elles se sentent oubliées”, résume Justine Kpan, la conseillère en santé mentale de l’association POREV-CI, qui les suit depuis 2021.

La ministre de la Cohésion nationale, de la Solidarité et de la Lutte contre la pauvreté, Belmonde Dogo, assure à l’AFP que “toutes les femmes violées qui se sont inscrites dans le processus” d’aide aux victimes “ont eu l’accompagnement du gouvernement”.

Ces femmes, dont certaines ont perdu leur mari dans les violences et d’autres ont été rejetées par leurs conjoints, ont notamment “besoin d’activités génératrices de revenus pour pouvoir se reconstruire”, explique Justine Kpan.

Humaniterre avec AFP