Soweto, Afrique du Sud
Samedi 05 juillet 2025
Les gamins du quartier deย Snake Park l’appellent la “montagne jaune”. L’imposanteย ancienne mine d’or surplombe une partie du township de Soweto, en Afrique du Sud, et empoisonne ses habitants selon plusieurs associations locales.
Les poussiรจres ร l’odeur รขcre provenant du talus piquent la gorge, se coincent entre les dents. Et pour cause : selon des analyses, le site de rรฉsidus miniers contiendrait des matiรจres hautement toxiques comme l’arsenic, le plomb ou l’uranium. Un hรฉritage de la ruรฉe vers l’or ร l’origine de la ville de Johannesburg, dans les annรฉes 1890.
Dans le nord du township, une association locale, le Snake Park Cerebral Palsy Forum, a recensรฉ plus d’une quinzaine d’enfants atteints de paralysie cรฉrรฉbraleย — sans compter d’autres handicaps et malformations que les habitants attribuent ร la mine.


– ‘ร cause de la mine’ –
Parmi eux, Okuhle, 13 ans, abandonnรฉe dans les rues de Snake Park รฉtant bรฉbรฉ.
“Okuhle ne peut ni marcher, ni parler, ni utiliser ses mains,” explique sa mรจre adoptive, Lilly Stebbe, 60 ans.
Assise dans son fauteuil roulant, la fillette souriante communique en poussant des cris.
“ร cause de la mine, Okuhle est aussi asthmatique, ajoute sa mรจre. Elle a รฉgalement des problรจmes aux yeux et aux sinus”. La sexagรฉnaire elle-mรชme tousse inlassablement. Ici, la poussiรจre est partout.
“Cette poussiรจre peut vous donner toutes sortes de cancers, mais peut aussi modifier votre ADN, et vos enfants naรฎtront avec des malformations”, prรฉvient David van Wyk, chercheur principal ร la Bench Marks Foundation, une organisation non gouvernementale qui scrute l’activitรฉ des entreprises.
Plus de 6.000 mines abandonnรฉes dรฉfigurent le territoire sud-africain, selon lโAuditeur gรฉnรฉral du pays, dont 2.322 considรฉrรฉes ร haut risque sanitaire pour les communautรฉs avoisinantes.
Selon David van Wyk, 15 ร 20 millions de personnes ร travers le pays vivraient ร proximitรฉ de ces substances toxiques. Snake Park, au pied de la mine, compte plus de 50.000 habitants.
Tous les mois, dans le cadre d’une รฉtude menรฉe avec l’Universitรฉ de Johannesburg, le chercheur aux faux airs d’Indiana Jones effectue des tests dans la dรฉcharge de la mine, une vaste รฉtendue au sol poudreux traversรฉe par une riviรจre rougeรขtre.




– Chรจvres ร trois pattes –
L’รฉtude, rรฉalisรฉe sur deux ans, vise ร mesurer et identifier la concentration de solides dissous dans l’eau.
Ce jour-lร , son appareil relรจve une concentration de 776 mg par litre. Un taux รฉlevรฉ qui, dit-il, rend l’eau impropre ร la consommation.
Il ajoute : “Ce ruisseau contient des substances trรจs toxiques, comme de l’uranium et du strontium, tous deux radioactifs.”
Le cours d’eau irrigue pourtantย les terres cultivรฉes par des locaux, et oรน pรขturent les troupeaux. Selon des habitants, certaines chรจvres naissent avec trois pattes.
Selon les rรฉsidents et la sociรฉtรฉ Pan African Resources, qui a rachetรฉ la mine en 2022 ร l’ancien propriรฉtaire en liquidation judiciaire, le site de rรฉsidus s’รฉpand dรฉjร depuis une cinquantaine d’annรฉes.
“Donnez-nous dix ans, maximum, et nous l’enlรจverons complรจtement”, promet ร l’AFP Sonwabo Modimoeng, responsable des relations avec les communautรฉs locales de l’entreprise.
Il l’admet : “Nous savons que cela affecte les gens.” Entre-temps, le groupe assure avoir installรฉ des panneaux signalรฉtiques autour du site. Des mesures insuffisantes selon les associations locales.



Baile Bantseke, grand-mรจre de Mpoentle, nรฉ autiste, pose pour un portrait dans leur maison de Snake Park, ร Soweto, le 23 mai 2025. Vivre ร proximitรฉ de substances hautement toxiques telles que l’arsenic, le plomb et l’uranium radioactif est une rรฉalitรฉ quotidienne pour 15 ร 20 millions de personnes en Afrique du Sud, selon David van Wyk, chercheur principal ร la Bench Marks Foundation, une organisation non gouvernementale et religieuse sud-africaine. Le pays compte 6 100 mines abandonnรฉes, dont 2 322 sont considรฉrรฉes comme ร haut risque par l’auditeur gรฉnรฉral de l’Afrique du Sud, ce qui expose les communautรฉs locales ร des risques sanitaires accrus. L’exploitation miniรจre est un secteur clรฉ de l’รฉconomie sud-africaine. En 2023, il affichait des ventes totales de 61,9 milliards de dollars et contribuait ร hauteur de 6,3 % au PIB national, selon le Conseil des minรฉraux d’Afrique du Sud (Minerals Council of South Africa). (Photo par EMMANUEL CROSET / AFP)
– “J’en veux ร notre gouvernement” –
Baile Bantseke, 59 ans, habite une petite maison ร quelques centaines de mรจtres de l’ancienne mine. Son petit-fils Mphoentle, 5 ans, est autiste — une condition que la grand-mรจre attribue ร la “montagne”.
De nombreuses รฉtudes, dont l’une publiรฉe en 2024 dans la revue Environmental Health, indiquent un lien entre l’exposition aux mรฉtaux lourds et le dรฉveloppement de l’autisme.
“J’en veux ร notre gouvernement, lance la grand-mรจre auprรจs de l’AFP. Car s’il s’occupait de nous, nous n’aurions pas de tels problรจmes.”
Les familles affectรฉes reรงoivent une aide pour enfants handicapรฉs de 2.310 rands par mois (113 euros). De quoi acheterย la nourriture, les vรชtements et les couches, mais pas assez pour payer le transport jusqu’ร lโhรดpital Baragwanath, ร quinze kilomรจtres, oรน les enfants sont censรฉs รชtre suivis.
“Nous n’avons pas de fauteuils roulants ni de pick-up” pour les transporter, se dรฉsole Kefilwe Sebogodi, fondatrice du Snake Park Cerebral Palsy Forum et qui รฉlรจve sa niรจce atteinte de paralysie cรฉrรฉbrale.
Chaque mois, une quinzaine de mรจres, tantes ou grand-mรจres, se rรฉunissent ainsi dans une salle aux vitres cassรฉes du centre communautaire pour “montrer que les enfants comptent dans la communautรฉ”, explique Kefilwe.
Une des mรจres prรฉsente ce jour-lร , visiblement ร bout, questionne l’utilitรฉ de ces rรฉunions. Mais Kefilwe l’assure : “Nous avons dรฉjร accompli beaucoup de choses, car nous sommes toujours debout.”
Humaniterre avec AFP