Samedi 10 mai 2025
Abidjan,ย Cรดte d’Ivoire
Par Anne Christine Poujoulat et Sabine COLPART
Tรชte haute et large sourire, Adรจleย marche fiรจrement sur le chemin qui la mรจne sur son lieu de travail, prรจs d’Abidjan. A 45 ans, elle est redevenue une femme ร part entiรจre: excisรฉe ร l’adolescence, elle vient d’รชtre rรฉparรฉe.
Adรจleย est l’une des 28 femmes ivoiriennes ayant subi une mutilation gรฉnitale fรฉminine (MGF) qui ont รฉtรฉ rรฉparรฉes en avril dans un hรดpital public, ร Treichville (sud d’Abidjan), lors d’une mission du Fonds Muskoka, crรฉรฉ en 2010 ร l’initiative du gouvernement franรงais ร l’issue d’un sommet du G8.
A la manลuvre, la chirurgienne-obstรฉtricienne Sarah Abramowicz, une rรฉfรฉrence de la rรฉparation gรฉnitale fรฉminine en France.
Dans une chaleur accablante et avec les moyens du bord, la chirurgienne, son assistant et un anesthรฉsiste accueillent Adรจle , venue avec sa petite sลur et des cousines. L’รฉquipe mรฉdicale franรงaise va procรฉder ร la rรฉparation du clitoris et des petites lรจvres de la patiente.
Cette mรจre de trois garรงons รขgรฉs de 22, 16 et 12 ans, en instance de divorce, raconte qu’elle n’avait “pas vraiment de problรจmes”, mais qu’elle รฉtait “gรชnรฉe par le regard” de ses partenaires.
“Je sens mon plaisir mais c’est la faรงon dont ils me regardent. Ils ne disent rien mais tu sens qu’ils ne sont pas ร l’aise. Et toi, รงa te met mal ร l’aise. Quand tu regardes d’autres femmes, toi tu es carrรฉment diffรฉrente. C’est lร tout mon problรจme. Quand j’รฉcarte les jambes, c’est tout plat”, confie sans tabou cette sage-femme.
– “Chirurgie dรฉlicate” –
“Ca fait longtemps que je cherche ร me faire rรฉparer mais on ne sait pas vers qui se tourner. C’est quand mรชme une chirurgie dรฉlicate, faut que ce soit bien fait. Alors quand on a appris que des Blancs venaientย !”, dit-elle dans un รฉclat de rire, toute รฉmue aprรจs l’opรฉration.
“Je n’ai pas encore vu mon rรฉsultat. Mais je suis fiรจre de le faire. Je suis contente”, rรฉpรจte-t-elle, assise dans une grande salle oรน une femme de 31 ans, qui prรฉfรจre ne pas donner son nom, attend son tour.
“Je suis allรฉe jusqu’au Burkina Faso pour me faire rรฉparer mais รงa n’a pas รฉtรฉ possible. Moi j’ai รฉtรฉ excisรฉe ร 6 ans par une matrone. Ca me gรชne dans mes relations et mon mari est parti ร cause de รงa”, confie la trentenaire, qui dit avoir dรฉboursรฉ 370.000 francs CFA (environ 565 euros) pour la rรฉparation au Burkina Faso qui ne s’est pas faite.
L’un des objectifs de cette mission est de permettre aux femmes de se faire rรฉparer gratuitement dans les hรดpitaux. “Que ce ne soit pas quelque chose d’accessible uniquement ร celles qui en ont les moyens avec des mรฉdecins privรฉs”, souligne Stรฉphanie Nadal Gueye, coordinatrice au Fonds Muskoka.
– Choix “militant” –
Pour cela, la mission d’un budget de 60.000 euros comprenait un volet important et inรฉdit de formation de mรฉdecins obstรฉtriciens hospitaliers.

Sarah Abramowicz a formรฉ ร sa spรฉcialitรฉ 10 chirurgiens de six pays africains francophones (Guinรฉe, Bรฉnin, Sรฉnรฉgal, Tchad, Togo et Cรดte d’Ivoire, pays-hรดte de la mission). Mais aussi sept paramรฉdicaux, essentiellement des sages-femmes, pour une prise en charge “dans sa globalitรฉ” de la rรฉparation et proposer un suivi psychosocial des 28 patientes – pour qu’elles ne soient pas stigmatisรฉes d’avoir รฉtรฉ rรฉparรฉes.
“On rรฉpare bien quand on rรฉpare en globalitรฉ”, explique Sarah Abramowicz, l’une des seules femmes ร faire de la rรฉparation en France.
Plus de 230ย millions de filles et de femmes actuellement en vie, soit environ 6% de la population fรฉminine mondiale – 30 millions de plus qu’en 2016 -, ont subi des mutilations gรฉnitales fรฉminines, reconnues internationalement comme une violation des droits humains, d’aprรจs un rapport publiรฉ en mars 2024 par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef).
En Cรดte d’Ivoire, une femme sur trois est victime d’excision.
“L’intรฉrรชt de cette mission, c’est d’avoir semรฉ des graines chez les soignants mais aussi chez ces femmes-lร . Il faudrait qu’elles deviennent des porte-parole. Il y a un truc militant ร se faire rรฉparer. La lutte commence comme รงa”, lance Sarah Abramowicz, qui reรงoit “10 photos par jour de l’รฉvolution de leur clitoris”, tant ses anciennes patientes sont heureuses et fiรจres.
Humaniterre avec AFP