Mardi 08 avril 2025
Lagos, Nigeria
Amaka Okoli, mรจre de famille de 38 ans, a รฉtรฉ contrainte de changer de profession lorsqu’elle a perdu son emploi dans une banque: dรฉsormais conductrice de bus, elle commence gรฉnรฉralement sa journรฉe ร 05H30 du matin, l’heure de pointe pour les travailleurs de Lagos, la mรฉgapole nigรฉriane aux 20 millions d’habitants.
“Avant, il รฉtait rare de voir une femme chauffeure de bus ร Lagos, mais les choses ont รฉvoluรฉ car nous devons gagner notre vie”, explique-t-elle ย en attendant de dรฉmarrer son petit bus jaune ร rayures noires pour parcourir plusieurs quartiers de la mรฉgalopole.
“J’ai l’impression d’avoir deux vies. D’un cรดtรฉ, il y a celle de chauffeure de bus, oรน je dois รชtre audacieuse et attirer les passagers, de l’autre la vie plus tranquilleย de femmeย au foyer, prenant soin de mon mari et de mes enfants”, ajoute Mme Okoli.
Selon plusieurs experts et professionnels du secteur des transports, la conjoncture รฉconomique actuelle du Nigeria pousse de plus en plus de femmes ร se lancer en tant que conductrices de bus et de VTC.
“Les familles ne peuvent plus dรฉpendre d’un seul revenu, et dans certains cas, les femmes sont devenues des soutiens de famille, ce qui les a amenรฉes ร explorer des professions qui รฉtaient culturellement rรฉservรฉes aux hommes”, dรฉclare Samuel Odewumi, professeur de planification et de politique des transports ร l’universitรฉ de l’Etat de Lagos.
Le Nigeria traverse actuellement l’une de ses pires crises รฉconomiques depuis des dรฉcennies.
Le coรปt de la vie a considรฉrablement augmentรฉ dans le pays le plus peuplรฉ d’Afrique depuis que le prรฉsident Bola Tinubu, รฉlu en 2023, a mis fin aux subventions sur les carburants et au contrรดle des devises.
– Ladies on Wheels –
ร Lagos, les conducteurs de bus sont majoritairement des hommes, tout comme leurs accompagnateurs chargรฉs d’aider les usagers ร monter ร bord et de les renseigner sur l’itinรฉraire.
Ces bus privรฉs, appelรฉs “Korope” ou “Danfo”, emblรฉmatiques du paysage lagotien, transportent environ 10 millions de passagers chaque jour, selon une รฉtude rรฉalisรฉe par l’autoritรฉ de transport mรฉtropolitain de Lagos (LAMATA) en 2015.
Avec la hausse du nombre de femmes chauffeures de bus et de VTC, dont les plus connues au Nigeria Uber et Bolt, l’association nigรฉriane Ladies on Wheels (“des femmes sur roues” en franรงais, LOWAN)ย compte aujourd’hui plus de 5.000 membres, contre seulement six ร sa crรฉation en 2018.
“Nous avons ressenti le besoin de prendre soin de nous-mรชmes, surtout dans une ville aussi dynamique que Lagos, oรน tout le monde se bouscule”, explique Victoria Oyeyemi, prรฉsidente de LOWAN, cette association d’entraide pour les conductrices de bus et de VTC.
Pour Mme Oyeyemi, il est important d’encourager les femmes ร devenir chauffeures de transport en commun ou privรฉ, tout en sensibilisant aussi aux difficultรฉs et risques inhรฉrents ร cette profession.
“Nous n’encourageons pas nos membres ร travailler tard le soir car les risques sont trop รฉlevรฉs, mais certaines le font”, dรฉclare Mme Oyeyemi, en rรฉfรฉrence ร des cas de vols de gains et de vรฉhicules qui lui ont รฉtรฉ rapportรฉs.
– Revenus modestes –
Les chauffeurs hommes consomment souvent de l’alcool et des boissons รฉnergisantes pour faire face ร la fatigue et au stress liรฉ aux embouteillages, ce qui entraรฎne une conduite erratique et des infractions aux limitations de vitesse.
En raison de cette situation, “les passagers prรฉfรจrent dรฉsormais monter dans des bus conduits par des femmes, car elles sont jugรฉes plus propres et plus prudentes au volant”, estime Amaka Okoli.
Les excรจs de vitesse ont causรฉ environ 56% des accidents de la route entre janvier et juin 2024, selon l’agence nationale pour la sรฉcuritรฉ routiรจre.
Mais les revenus modestes gรฉnรฉrรฉs par cette activitรฉ ne satisfont pas Amaka Okoli.
“Je pleure souvent au travail, surtout quand mon bus est saisi et que je dois utiliser tout mon argent pour payer l’amende. Je rentre chez moi les mains vides”, raconte Mme Okoli.
Soixante pour cent des revenus quotidiens de cette mรจre de trois enfants sont consacrรฉs ร couvrir les taxes journaliรจres, les bakchichs aux agents de la circulation et l’achat de carburant.
Mais le mรฉtier, mรชme accompagnรฉ de son lot de difficultรฉs, est “mieux que de rester au chรดmage”, concรจde-t-elle.
Humaniterre avec AFP ยฉ