Mercredi 23 avril 2025
Abidjan,ย Assinie ย Mafia – Cรดte d’Ivoire
Reportage de Mariรฉtou Bรข
Lorsque l’Ivoirien Aboudia est devenu l’un des peintres les plus vendus au monde, un parallรจle a รฉtรฉ fait avec Jean-Michel Basquiat qui ne concernait pas uniquement leurs toiles : “ils se sont retrouvรฉs dans la rue, seuls, mais ont su en tirer profit”, raconte le critique d’art Mimi Errol.
“Quand j’รฉtais adolescent, je voulais faire de la peinture et mon pรจre n’a pas voulu”, explique Aboudia ร l’AFP.
Avant de devenir une rรฉfรฉrence, Abdoulaye Diarrassouba a d’abord cheminรฉ seul, bien dรฉcidรฉ ร รชtre peintre dans une sociรฉtรฉ qui accorde peu de considรฉration aux artistes.
A l’รฉpoque c’รฉtait synonyme d’รชtre “un ratรฉ”, se souvient l’artiste, nรฉ en 1983.
La crise post-รฉlectorale ivoirienne de 2010-2011 et ses 3.000 morts vont le rรฉvรฉler au monde, avec des toiles qui dรฉpeignent le chaos de la “Bataille d’Abidjan”.
Ilย peint des jeunes livrรฉs ร la guerre, ร eux-mรชmes, en lien avec son histoire : “les enfants de la rue”.
“C’est pas leur place”, affirme-t-il. Il faut, dit-il, “interpeller les parents, les autoritรฉs, toute personne consciente de la cause de l’enfance, pour les faire sortir de lร ”.
Aboudia, qui vit ร Abidjan la plupart du temps, est aujourd’hui classรฉ 1.311e dans le top 5.000 mondial des artistes les plus vendus aux enchรจres, selon la sociรฉtรฉ d’analyse du marchรฉ de l’art, Artprice.
En 2022, il รฉtait mรชme l’artiste contemporain qui avait vendu le plus de toiles (75) selon le classement Hiscox Top 100.
Paris, Londres, New York ou Lagos s’arrachent ses oeuvres.
Elรจve au Conservatoire des Arts et Mรฉtiers d’Abengourou, dans l’est ivoirien, puis au Centre technique des arts de Bingerville, en banlieue d’Abidjan, “Aboudia รฉtait dรฉjร trรจs attachรฉ ร l’univers des enfants”, se souvient son ancien professeur Jacobleu, un autre peintre renommรฉ.
Dans les annรฉes 2000, il apporte ses premiรจres oeuvres ร la galerie abidjanaise Houkami Guyzagn.
“Je ne sais pas combien de fois il est venu avec des travaux qu’on trouvait immatures, qu’on ne trouvait pas aboutis”, se rappelle le critique Mimi Errol, qui y travaillait.
“Il partait sans dire mot et revenait le lendemain”, livre-t-il, jusqu’ร trouver son identitรฉ et affirmer ses convictions.
– “Travailler comme un enfant” –
De tableau en tableau, une maniรจre de peindre des personnages se confirme: des bonhommes faits de lignes, trรจs sombres ou trรจs colorรฉs, toujours l’air dรฉpassรฉs, dรฉlaissรฉs. Ils dรฉconcertent, interpellent.
L’artiste dรฉpeint “le monde de ceux qu’on ne peut pas voir (…) une vie de jeunes gens qui ont du mal ร s’intรฉgrer ร la sociรฉtรฉ, qui doivent se battre”, commente M. Errol.
“On pense que c’est quelque chose de trรจs basique, de simple” mais “il dรฉpouille l’homme pour le montrer dans sa plus simple expression”, prรฉcise-t-il.
Aboudia l’assure: “ce qui fait qu’on reconnaรฎt mon style, je peux dire que c’est ce cรดtรฉ naรฏf : รชtre รขgรฉ mais travailler comme un enfant”.
“Je n’ai jamais voulu peindre ou travailler pour quelqu’un, moi je fais ce que j’ai envie de faire, si vous aimez, vous aimez, si vous n’aimez pas, tant pis”, dit-il sans hausser le ton, la voix toujours douce et l’attitude rรฉservรฉe, qui contrastent avec la puissance de ses oeuvres.
“C’est vrai que le niveau qu’il a atteint est assez surprenant”, estime Jacobleu, car les artistes noirs africains ont selon lui difficilement accรจs au succรจs international.
Leurs oeuvres restent parfois coincรฉes dans des expositions “ghettoรฏsantes”, regrette-t-il, forcรฉment liรฉes ร l’Afrique.
Aujourd’hui ร la tรชte d’une fondation qui porte son nom, Aboudia transmet rรฉguliรจrement son art, avant tout aux enfants, comme une รฉvidence.
Humaniterre avec AFP