Jeudi 26 juin 2024
Porto Novo, Bรฉnin
“On ne jette pas des filets de pรชche sur le bitume”, s’indigne Tite Kounasso, pรชcheur de 52 ans vivant au bord de la lagune de Porto-Novo qui comme des milliers d’autres devrait รชtre bientรดt forcรฉ ร partir par les autoritรฉs en raison d’un projet d’รฉcotourisme.
Le plan d’amรฉnagement des berges de la capitale bรฉninoise doit permettre selon les autoritรฉs de dynamiser le tourisme tout en prรฉservant l’environnement.
Mais il prรฉvoit aussi le dรฉpart d’une partie des populations qui vivent le long de la lagune stratรฉgiquement situรฉe entre le lac Nokouรฉ, juste derriรจre la capitale รฉconomique Cotonou, et l’immense mรฉgapole nigรฉriane de Lagos. La mairie de Porto-Novo n’a pas souhaitรฉ donner de chiffres sur le nombre d’habitants affectรฉs par cette dรฉlocalisation.
Depuis son arrivรฉe au pouvoir en 2016, le prรฉsident bรฉninois Patrice Talon a lancรฉ plusieurs chantiers visant ร renforcer l’attractivitรฉ touristique du pays.
Un vaste projet de l’Agence franรงaise de dรฉveloppement (AFD), baptisรฉ “Porto-Novo ville verte” a dรฉjร changรฉ le paysage lagunaire en permettant la construction d’une promenade et des amรฉnagements d’infrastructures (รฉclairage, voiries, assainissement…), mais il n’a affectรฉ que 135 habitants qui ont รฉtรฉ “indemnisรฉs et accompagnรฉs” dans leur rรฉinstallation, a affirmรฉ Jรฉrรดme Bertrand-Hardy, directeur de l’AFD au Bรฉnin, soit beaucoup moins que le nombre d’habitants qui va รชtre dรฉlogรฉ par l’assainissement menรฉ par la mairie et le gouvernement bรฉninois.
“L’objectif est de revitaliser et de mettre en valeur les quartiers proches de la lagune pour leur redonner vie”, a-t-il expliquรฉ.
Le long des berges, Baptiste Berard Proust, un touriste franรงais, est sรฉduit par sa promenade et “la magnifique passerelle au milieu des habitations”. Mais il dรฉchante en apprenant que “les personnes qui habitent ici vont รชtre dรฉgagรฉes”, ce qui le “dรฉsole”.
-“Aucun mรฉtier”-
Les habitants des berges lagunaires de Porto-Novo, qui vivent essentiellement de la pรชche, sont dans l’expectative.
“Il y a dix mois, la mairie est passรฉe nous notifier que nous avons un mois pour partir et nous nous sommes constituรฉs en association pour nous dรฉfendre face au danger. Nous avons รฉcrit un peu partout mais nous n’avons pas eu de suite”, explique ร l’AFP Lรฉopold Padonou, pisciculteur de 44 ans.
“Selon notre propre recensement, nous sommes environ 1.000 mรฉnages, donc 5.000 personnes”, dit-il.
Il y environ deux mois, la mairie a marquรฉ d’une croix rouge les maisons ร dรฉmolir mais “personne ne nous a donnรฉ de dรฉtails”, indique avec angoisse M. Padonou, qui est nรฉ et a grandi dans ce quartier.
Il reconnaรฎt que l’amรฉnagement des berges a permis d’amรฉliorer nettement les infrastructures. “Nous avons dรฉsormais l’รฉclairage, les routes viennent ร nous, les passages piรฉtons existentโฆ On nous a construit des infrastructures pour que nous vivions bien, mais on ne nous laisse pas en jouir et on nous parle dรฉjร de dรฉguerpissementโฆ Pour aller oรนย ?”, interroge-t-il.
“Le lacustre ne peut vivre nulle part d’autre si ce n’est dans l’eau. Nous n’avons appris aucun mรฉtier, qu’on nous laisse sur la berge”, rรฉclame le pรชcheur Tite Kounasso.
A 62 ans, Antoine Ababรจ Houssou, rรชvait de finir ses jours sur cette berge. “Je n’ai nulle part oรน aller si on me sort d’ici”, glisse-t-il.
Agathe Gandonou, vendeuse de poissons et de crabes, ne dรฉsespรจre pas. “Toute notre force est dans l’eau et nous nous battrons pour nous maintenir ici”, lance-t-elle vigoureusement au milieu d’un groupe d’habitants.
Ange-Marie Esse, chargรฉ de projet pour l’ONG internationale Justice & Empowerment Initiatives, compte bien aider ces populations ร faire respecter leurs droits, comme elle l’a dรฉjร fait au Nigeria et au Sรฉnรฉgal.
“Il faut donner le pouvoir ร la communautรฉ de se dรฉfendre. Nous voulons un accord, un partenariat gagnant-gagnant”, soutient-il.
-“Village moderne”-
Pour la municipalitรฉ de Porto-Novo, le projet a รฉtรฉ initiรฉ pour mettre fin ร l’occupation anarchique de la berge et dans un souci de prรฉservation environnementale.
“C’est un projet de rรฉsilience aux changements climatiques qui vise ร prรฉserver la berge naturelle de Porto Novo tout en dรฉveloppant l’รฉcotourisme”, explique Charlemagne Yankoty, maire de la ville.
“Toutes les infrastructures touristiques de la ville sont en chantier pour renforcer notre attractivitรฉ au plan touristique”, assure-t-il.
Quant aux populations dรฉlogรฉes, il assure que le Conseil municipal a dรฉjร dรฉbloquรฉ cent millions de francs CFA (152.000 euros) pour les aider au dรฉpart.
“Ceux qui occupent cette berge ne sont pas propriรฉtaires pour la plupart et ils sont trop exposรฉs aux maladies hydriques”, plaide le maire.
Il souligne รฉgalement que tous ne sont pas appelรฉs ร partir car “si nous dรฉgageons tout le monde, la berge va manquer de vie”.
Le maire assure ainsi qu’un “village moderne de pรชcheurs” sera bientรดt construit, sans donner de dรฉtails sur le calendrier ni sur le nombre de personnes qui y seront relogรฉes.
Humaniterre avec AFP