Narok, Kenya
Vendredi 22 aoรปt 2025
Fin 2023, des gardes-forestiers et forces de sรฉcuritรฉ kรฉnyans ont dรฉbarquรฉ par surprise, รฉquipรฉs de haches et marteaux, รฉvinรงant en quelques jours des centaines de personnes, relateย ce militant des droits humains de 38 ans. Aucun motif ne leur a รฉtรฉ donnรฉ, ni aucun prรฉavis accordรฉ, assurent plusieurs d’entre eux.
“Quand je viens ici, je suis tellement triste. J’en ai les larmes aux yeux”,ย souffle M. Ngusilo en balayant du regard les restes de la maison familiale ร quelques dizaines de kilomรจtres de la ville de Narok, dans la vallรฉe du Rift.
Certains Ogiek persistent ร y รฉlever leur bรฉtail, mais sont rรฉguliรจrement chassรฉs par les gardes-forestiers.
Le calme apparent de la plus grande forรชt du pays, chรขteau d’eau qui abreuve des millions de Kรฉnyans, contraste avec les rรฉcits de dรฉcennies de persรฉcutions et dโexpropriations rapportรฉs par ses autochtones, que les autoritรฉs kรฉnyanes justifient au nom de la prรฉservation de la zone.
Un argument rรฉfutรฉ par la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples.
Des dรฉcisions rendues en 2017 et 2022 par cette juridiction continentale ont jugรฉ les รฉvictions illรฉgales, ordonnant ร Nairobi de payer aux Ogiek des rรฉparations รฉquivalant ร plus d’un million d’euros et de reconnaรฎtre leurs terres ancestrales. Mais le Kenya ne s’est toujours pas exรฉcutรฉ.

Le calme de la forรชt de Mau contraste avec les rรฉcits de dรฉcennies de persรฉcution et de spoliation racontรฉs par ses peuples autochtones, tout cela au nom de la conservation.
La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (AfCHPR) a statuรฉ en 2017 et 2022 que les expulsions รฉtaient illรฉgales, ordonnant ร Nairobi de verser des rรฉparations รฉquivalentes ร plus d’un million de dollars et de reconnaรฎtre leurs terres ancestrales. (Photo de Tony KARUMBA / AFP)


Quotidien difficile –
Le Programme de dรฉveloppement du peuple Ogiek (OPDP),ย une ONG protรฉgeant ce sous-groupe de l’ethnie kalenjin, compte plus de 50.000 membres, qui รฉtaient autrefois aussi dissรฉminรฉs sur les contreforts du Mont Elgon (Ouest).
Nombre d’entre eux sont dรฉsormais contraints de louer des maisons en dehors de la forรชt, privรฉs de leurs moyens de subsistance.
“Avant, c’รฉtait bien : pas de loyer, pas besoin d’acheter du bois ou de la nourriture. Maintenant, il faut tout acheter”, regrette la grand-mรจre de Fred, Janet Sumpet Ngusilo, 87 ans.
Alors, outre leurs combats devant les juges, les Ogiekย organisent ces derniรจres annรฉes des festivals culturels.
Des cรฉrรฉmonies, empreintes de nostalgie et d’appels ร la justice, qui ont ressemblรฉ plusieurs centaines de personnes ce mois-ci.
Avant, “je survivais de viande et de miel. Les jeunes d’aujourd’hui ne connaissent pas cette vie”, raconte Salaton Nadumwangop .
“J’avais plus de 500 ruches (…) nous dรฉposions des feuilles par terre, nous nous couvrions et dormions jusqu’au matin.
La forรชt est notre vie”, ajoute cet homme de 55 ans coiffรฉ d’un chapeau en fourrure รฉpinglรฉ de perles รฉvoquant des abeilles.
Avant de tรฉmoigner des violences des trois รฉvictions qu’il a subies : en fuyant, certains ont รฉtรฉ attaquรฉs par des hyรจnes et des lรฉopards et “de nombreuses personnes sont mortes”, raconte-t-il.



– “Complรจtement perdus” –
Josphat Lodeya, ร la tรชte de l’unitรฉ gouvernementale chargรฉe des minoritรฉs et personnes marginalisรฉes, a promis lors du dernier festival Ogiek l’application des verdicts de la cour situรฉe ร Arusha, en Tanzanie, sans plus de prรฉcisions.
“Nous sommes un petit peuple. Mรชme si nous essayons de voter, ils nous considรจrent comme des moins que rien. Alors ils nous mรฉprisent”, estime M. Nadumwangop.
Les autoritรฉs “essaient de nous vendre”, affirme Fred Ngusilo, qui se dit prรชt ร mourirย pour retourner chez lui.
Lorsqu’il est retournรฉ en aoรปt dans les restes sa maison familiale, il s’est fait harceler par des gardes-forestiers qui ont menacรฉ de l’arrรชter.
Contactรฉ, KFS, l’office forestier kรฉnyan, n’รฉtait pas disponible dans l’immรฉdiat.



Plusieurs membres de la communautรฉ accusent aussi des projets de crรฉdit carbone, encouragรฉs par le prรฉsident William Ruto, d’รชtre derriรจre les expropriations de 2023.
Des allรฉgations dures ร prouver, mรชme si plusieurs avocats et observateurs les estiment plausibles.
Salaton Nadumwangop se dit “trรจs inquiet”.ย “Si les choses continuent ainsi, les Ogiek disparaรฎtront, se lamente-t-il. Nous serons complรจtement perdus.”
Credits photo : Tony Karumba